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Les Rejetés
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Les Rejetés


Monsieur Lee était très fier de sa tante, et ce n’était pas comme s’il y avait eu une autre option à des kilomètres à la ronde, ou qui que ce fût d’autre avec sa vaste expérience… Vaste ? En vérité, personne ne connaissait son âge exact – pas même elle-même –, mais elle devait bien avoir quatre-vingt-dix ans à quelques jours près.

Ce fut sur ces pensées que Monsieur Lee atteignit sa cour d’entrée. Il avait l’intention de discuter de cette situation avec son épouse car, bien qu’il donnât l’apparence d’être le chef de famille en société, comme cela était habituel dans chaque autre famille thaïlandaise, ce n’était bien que cela – une apparence. En réalité, chaque décision était prise par la famille entière ; du moins par ses adultes.

Cette journée allait sans doute se révéler mémorable, car les Lee n’avaient jamais connu aucune « crise » auparavant, et leurs deux enfants, qui n’en étaient au demeurant plus, auraient également droit à la parole. Une page d’histoire allait être écrite, et Monsieur Lee en avait pleinement conscience.

« Meuh ! » appela-t-il. C’était le surnom affectueux qu’il donnait à sa compagne depuis que leur premier-né l’avait dit en essayant de dire « mère ». « Meuh, est-ce que tu es là ?

— Oui, je suis derrière. »

Lee attendit quelques instants qu’elle sortît des toilettes, mais l’air était chaud et renfermé à l’intérieur, aussi ressortit-il dans la cour d’entrée et s’installa-t-il sur leur large table familiale, abritée sous un toit d’herbe, où ils se réunissaient habituellement tous pour manger ou passer leur temps libre.

Le vrai prénom de Madame Lee était Wan, bien que son mari l’appelât affectueusement Meuh depuis que leur aîné l’avait involontairement surnommée ainsi alors qu’il était encore un bambin. Il était cependant le seul à le faire ; leurs enfants n’avaient pas gardé cette habitude. Elle était originaire du village de Baan Noi, tout comme Lee l’était, mais sa famille n’avait jamais connu aucune autre région, tandis que celle de son époux avait émigré depuis la Chine deux générations plus tôt, mais d’un village qui n’était toutefois pas si éloigné de celui-ci que cela.

Elle était ce qu’on pouvait appeler une femme typique de ces contrées. Plus jeune, elle avait été une très jolie fille, mais les filles n’avaient alors pas autant d’opportunités qu’à ce jour et n’étaient également pas encouragées à avoir de l’ambition. À vrai dire, cela était toujours plus ou moins la même chose pour sa fille, même vingt années plus tard. Madame Lee s’était contentée de chercher un mari au sortir de l’école et, lorsque Heng Lee avait demandé sa main et montré la dot qu’il proposait à ses parents, elle s’était dit qu’il était une aussi bonne prise que n’importe quel autre garçon du coin qu’elle aurait pu trouver. Elle n’avait eu aucun désir de s’éloigner de ses amis et autres relations pour s’installer dans une grande ville et élargir ses possibilités. Elle avait même fini par éprouver de l’amour envers Heng Lee d’une certaine manière qui lui était propre, même si le feu de la passion était depuis longtemps éteint en elle, après une courte vie amoureuse. Elle était désormais plus une partenaire commerciale qu’une épouse au sein de l’affaire familiale qu’ils entretenaient pour leur survie mutuelle, ainsi que celle de leurs deux enfants.

Wan n’avait jamais cherché à avoir un amant, même si on lui avait fait des avances avant et après son mariage. À l’époque, cela l’avait outrée, mais elle y repensait désormais avec une certaine tendresse. Lee avait été son premier et unique amant, et il allait sans doute demeurer son dernier, mais elle ne le regrettait pas.

Son seul rêve était de voir et de s’occuper des petits-enfants que ses propres enfants finiraient sans doute par vouloir avoir quand le moment serait venu, même si elle ne désirait pas qu’ils se mariassent en hâte comme elle l’avait fait ; en particulier sa fille. Aussi certainement que deux et deux faisaient quatre, elle savait cependant que ses enfants auraient leur propre progéniture s’ils le pouvaient, car cela constituait l’unique sécurité financière qu’ils pourraient avoir une fois vieux, ainsi que leur seule chance de faire évoluer le statut de la famille.

Madame Lee accordait une grande importance à la famille, au statut social, et à l’honneur, mais elle ne voulait pas particulièrement posséder plus de biens matériels qu’elle n’en avait déjà. Elle avait appris il y avait déjà bien longtemps à s’en passer et cela ne lui faisait désormais plus rien.

Elle avait bien un téléphone portable et une télévision, mais les signaux étaient, pour le moins qu’on pût dire, mauvais, et elle ne pouvait rien y faire si ce n’était attendre que le gouvernement se décidât à améliorer les émetteurs locaux, ce qui finirait bien par arriver un jour, tôt ou tard. Elle ne voulait pas particulièrement de voiture non plus, car elle n’allait de toute façon nulle part, et les routes n’étaient par ailleurs pas très bonnes. De plus, les gens de son âge et de sa condition avaient pendant si longtemps pensé qu’une voiture était un luxe inatteignable qu’ils avaient cessé d’en vouloir une des décennies plus tôt. En d’autres mots, le vélo et la vieille motocyclette qui composaient la flotte familiale lui suffisaient.

Elle ne rêvait pas plus d’or et de beaux habits. Avoir dû élever deux enfants avec un revenu de fermier l’avait exorcisée de tels désirs il y avait bien des années aussi. Malgré tout, Madame Lee était une femme heureuse qui aimait sa famille et était résignée à rester comme et où elle était jusqu’au jour où Bouddha lui dirait de repartir.

Monsieur Lee regarda son épouse venir vers lui. Elle ajusta quelque chose sous son sarong. Quelque chose devait ne pas être bien en place, supposa-t-il, mais il se garda bien de demander quoi. Elle s’assit sur le bord de la table et releva ses jambes avec élan pour adopter la position d’une sirène sur un rocher danois.

« Alors, que dit la vieille sorcière ?

— Oh allez, Meuh. Elle n’est pas si terrible ! D’accord, vous ne vous êtes jamais comprises, mais ça arrive parfois, non ? Elle ne dit jamais rien de mal sur ton dos. Il y a trente minutes, elle a même pris de tes nouvelles… et de celles des enfants.

— Tu es vraiment naïf parfois, Heng. Elle me parle gentiment ou gentiment de moi à d’autres personnes quand il y a du monde pour l’entendre, mais, quand nous sommes seules, elle me traite comme une moins-que-rien, et ça a toujours été comme ça. Elle me déteste, mais elle est trop sournoise pour le montrer devant toi, car elle sait que tu me soutiendrais plutôt qu’elle. Vous, les hommes, vous pensez tout comprendre, mais vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez.

Elle m’accuse de tas de choses depuis des années, et à plusieurs reprises… Elle a dit que je ne nettoyais pas bien, que je laissais les enfants être sales, et elle a même une fois dit que ce que j’avais cuisiné donnait l’impression d’avoir été aromatisé avec de la crotte de bouc ! Tu ne connais même pas la moitié de l’histoire, mais tu ne me crois de toute manière même pas, moi, ta propre femme, n’est-ce pas ? Oh, tu peux sourire, mais, crois-moi, ça n’a pas été très drôle pour moi ces trente dernières années. Enfin bref, passons. Qu’a-t-elle dit ?

— Pas grand-chose, en fait. Il s’agissait juste d’un examen ; la même routine que d’habitude donc. Tu sais bien : pisse sur de la mousse, crache sur une pierre, laisse-la t’asperger d’alcool craché par sa vieille bouche pleine de dents. Je frissonne rien qu’en y pensant. Elle a dit qu’elle me ferait quérir demain, quand elle sera en mesure de me donner des résultats. Où sont les enfants ? Est-ce qu’ils ne devraient pas aussi participer à cette discussion familiale ?

— Je ne pense pas, non. Après tout, on ne sait encore rien, non ? Ou bien tu as déjà une idée ?

— Non, pas vraiment. Tu sais, je me dis qu’un massage de la Chinoise pourrait aider, si je lui demande de ne pas y aller trop fort avec moi. Elle a appris dans le Nord de la Thaïlande, mais elle est un peu brute parfois ; du moins, c’est ce qu’on dit. Tu sais, avec l’état de mes organes… Mais peut-être qu’une friction légère leur serait bénéfique… Qu’en penses-tu, chérie ?

— Je sais ce que tu veux dire par friction légère. Si c’est comme ça, pourquoi tu ne demandes pas à ton oncle de le faire ? Pourquoi vouloir que ça soit une jeune femme ?

— Tu sais bien que je n’aime pas me faire toucher par un homme ; je te l’ai déjà expliqué. Mais bon, si cela te dérange, je ne me ferai pas masser.

— Je ne suis pas en train de te l’interdire ! Ciel, je ne pourrais pas t’empêcher de le faire de toute manière. Mais tu as dit toi-même qu’elle est un peu brute, et elle risque de faire plus de mal que de bien. Je pense qu’il serait plus sage de t’abstenir jusqu’à ce que ta tante ait des résultats, c’est tout.

— D’accord. Tu as sans doute raison. Tu ne m’as pas dit où les enfants sont.

— Je n’en suis pas sûre, en fait. Je croyais qu’ils seraient déjà rentrés entretemps… Ils sont partis ensemble ; une histoire de fête d’anniversaire ou quelque chose de ce genre en fin de semaine. »

Les Lee avaient deux enfants – un fils et une fille – et s’estimaient chanceux de les avoir, car ils avaient essayé de faire un enfant durant dix ans avant que leur garçon n’eût finalement été conçu. Ils étaient désormais respectivement âgés de vingt et seize ans, et Monsieur et Madame Lee avaient donc depuis longtemps abandonné l’espoir d’en avoir d’autres encore. Pour tout dire, ils avaient arrêté d’essayer depuis un moment déjà.

Toujours était-il que leurs enfants étaient bons, respectueux, obéissants, et faisaient la fierté de leurs parents – enfin, ce qu’ils savaient d’eux les rendait fiers, en tout cas – car ils étaient exactement comme tous les bons gamins : quatre-vingt-dix pour cent sages, mais avec le potentiel de faire des bêtises et d’avoir des pensées secrètes que leurs parents désapprouveraient.

Maître Lee, leur fils, de son prénom Den, que l’on pouvait aussi appeler le Jeune Lee, venait tout juste d’avoir vingt ans et avait fini ses études il y avait déjà presque deux ans. Il avait eu, tout comme sa sœur, une enfance heureuse, mais il commençait lentement à réaliser que son père avait planifié une vie très difficile pour lui, bien qu’il eût toujours travaillé avant et après les cours durant la majeure partie de sa vie. Il avait cependant jusqu’alors toujours eu du temps à dédier au football, au tennis de table, et aussi aux filles et aux bals d’étudiants.

Tout ceci était néanmoins désormais fini, tout comme ses espoirs de vie sexuelle, même s’il n’avait jamais eu énormément de quoi se vanter – quelques rares baisers et tâtonnements, puis plus rien du tout depuis presque deux ans. Den serait parti vivre en ville à la première opportunité, s’il avait eu la moindre idée de quoi y faire. Il n’avait toutefois pas la moindre ambition, si ce n’était celle d’avoir des rapports sexuels réguliers.

Ses hormones s’en donnaient à cœur joie, au point qu’il en arrivait parfois à trouver certaines chèvres attirantes, ce qui l’inquiétait grandement.

Il réalisait bien qu’il aurait à se marier s’il voulait toujours avoir une femme dans son lit. L’idée commençait en conséquence à bien le tenter, même si son coût était d’avoir des enfants.

Mademoiselle Lee, plus connue sous le nom de Din, était une très jolie jeune fille âgée de seize ans qui avait terminé ses études durant l’été, après avoir étudié deux ans de moins que son frère, ce qui était relativement normal dans la région. Non pas qu’elle fût moins brillante que lui ; les parents et jeunes filles des alentours pensaient tout simplement qu’il valait mieux que ces dernières s’attelassent à fonder une famille aussi tôt que possible. Il était par ailleurs plus facile pour une jeune femme de trouver un mari avant d’avoir vingt ans plutôt qu’étant âgée de même à peine quelques années de plus. Din n’avait jamais remis cette « sagesse » traditionnelle en question malgré les appréhensions de sa mère.

Elle avait également travaillé avant et après les cours quasiment sa vie entière, et probablement bien plus dur que son frère, même si ce dernier n’aurait pas été capable de s’en rendre compte, car il était habituel que les filles fussent pratiquement des esclaves dans les environs.

Din avait cependant ses propres fantasmes. Elle rêvait d’aventures romantiques dans lesquelles son amant l’enlevait et l’emmenait à Bangkok, où il devenait médecin tandis qu’elle passait des journées entières à faire du shopping avec ses copines. Ses hormones s’en donnaient aussi à cœur joie, mais la culture locale lui interdisait de l’admettre, y compris intérieurement. Son père, son frère, et sans doute même sa mère lui auraient administré une correction s’ils l’avaient vue ne serait-ce que sourire à un garçon n’appartenant pas à leur famille. Elle le savait et l’acceptait sans poser de questions.

Elle avait pour plan de commencer à chercher un mari sur-le-champ ; tâche pour laquelle sa mère avait proposé son assistance, car elles savaient toutes deux qu’il valait mieux que cela fût réglé le plus vite possible afin d’éviter de couvrir la famille de honte.

En résumé, les Lee étaient une famille typique de la région et en étaient satisfaits. Ils menaient leurs vies dans le cadre des mœurs locales et trouvaient cela bon et juste, même si les deux enfants cultivaient des rêves de fuite vers la grande ville. Ils étaient cependant retenus par un manque d’ambition qui avait été enraciné dans l’esprit des montagnards depuis des siècles et les retenait à cette place, ce qui arrangeait le gouvernement car, autrement, tous les jeunes gens auraient eu depuis longtemps disparu des campagnes pour rallier Bangkok, puis, à partir de celle-ci, des pays étrangers tels que Taïwan ou Oman, où les salaires étaient meilleurs. Être libérés de la pression stricte de leurs pairs restait néanmoins une idée attrayante.

De nombreuses jeunes filles étaient déjà vraiment parties pour la capitale. Certaines avaient trouvé des emplois « corrects », mais beaucoup avaient fini par devenir travailleuses du sexe dans les grandes villes, pour ensuite parfois finir par partir à l’étranger, quelques fois même hors d’Asie. De nombreux films d’horreur avaient pour but de dissuader les jeunes femmes de suivre cette voie, et ils avaient eu l’effet escompté sur Din et sa mère.

Monsieur Lee appréciait sa vie et aimait sa famille, même si ce n’était pas quelque chose que l’on admettait hors des murs de la maison dans sa culture, et il ne voulait pas les perdre en raison d’une maladie qui avait peut-être commencé à grandir en lui alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme.

Le Vieux Monsieur Lee – il savait que certains jeunes irrespectueux du village l’appelaient aussi le Vieux Bouc Lee – avait été, plus jeune, un idéaliste, et s’était enrôlé dans l’armée afin de participer à la guerre dans le Vietnam du Nord dès qu’il avait eu fini ses études. Ils vivaient sur la frontière avec le Laos ; le Vietnam du Nord n’était donc pas loin, et il avait à l’époque appris que les Américains avaient bombardé cette région et le Laos et avait voulu faire sa part pour que cela cessât.

Il avait rallié la cause communiste et était parti s’entraîner au combat au Vietnam dès que cela avait été possible. Nombre de ses camarades d’entraînement avaient été comme lui – partiellement chinois, mais surtout fatigués que des forces étrangères influençassent le futur de leurs compatriotes. Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi des Américains vivant à des milliers de kilomètres de là en avaient quelque chose à faire de qui était au pouvoir dans son petit coin du monde, alors que cela lui était bien égal, à lui, quel président ils avaient élu.

Toutefois, le destin avait alors décidé qu’il n’aurait jamais la chance de tirer des coups de feu enragés, et il fut touché par le shrapnel d’une bombe américaine alors qu’il se faisait transférer depuis le camp d’entraînement vers le champ de bataille pour son tout premier jour. Ses blessures avaient fait un mal de chien, mais elles n’avaient pas mis sa vie en péril. Elles furent néanmoins suffisantes pour le faire exclure de l’armée une fois qu’il fut apte à quitter l’hôpital. Le plus gros morceau avait touché la partie supérieure de sa jambe gauche, mais quelques bouts plus petits avaient criblé son abdomen, ce qui pouvait selon lui éventuellement être la source de ses soucis actuels. Cela avait également causé la rumeur selon laquelle on lui avait tiré dessus.

Il était rentré au pays boiteux et avec une compensation financière suffisante pour acheter une ferme exclusivement dédiée à l’agriculture, mais, comme sa jambe lui posait problème, il avait acheté une ferme plus petite et un troupeau de chèvres, qu’ils avaient fait s’accoupler puis vendues à la place. Un an après son retour, il s’était résigné au fait que sa jambe ne progresserait pas plus qu’elle n’avait pu le faire jusque-là, et avait entretemps épousé une jolie fille du coin qu’il avait connue et désirée toute sa vie, avec laquelle il avait construit une vie heureuse mais très humble.

Depuis lors, chaque jour de la semaine à l’exception des dimanches, Monsieur Lee menait son troupeau brouter dans les hautes terres et, en été, il restait souvent passer la nuit dans l’un des bivouacs qu’il avait mis en place ici et là ; une compétence qu’il avait acquise à l’armée. Il se rappelait avec nostalgie de ces jours comme de jours heureux, même s’il ne les aurait pas décrits de la sorte à l’époque.

Il n’y avait plus de prédateurs dans ces montagnes en dehors de l’humain, car tous les tigres avaient depuis longtemps été chassés afin d’être utilisés dans l’industrie médicale chinoise. Monsieur Lee avait des sentiments contradictoires à ce sujet. D’un côté, il savait bien que cela n’était pas une bonne chose, mais de l’autre, il n’avait aucune envie d’avoir à défendre ses chèvres contre des tigres rôdant dans la nuit. Lorsque la maladie l’avait frappé, à peine environ une semaine plus tôt, il avait déjà eu à son actif près de trente années en tant que chevrier, et connaissait donc les montagnes aussi bien que certaines personnes connaissaient leur parc local. Il savait quelles zones étaient à éviter en raison des mines terrestres et de la strychnine déposées par les Américains dans les années 70 et lesquelles avaient été nettoyées, même s’il semblait que les démineurs avaient manqué un ou deux explosifs, comme l’une de ses chèvres avait pu le découvrir à peine un mois plus tôt. Cela avait été bien triste pour elle, mais sa dépouille n’avait pas été gâchée, et sa mort avait été rapide. Une pierre délogée par mégarde avait activé une mine et été propulsée vers le ciel, arrachant la tête de la bête dans sa course.

Le chemin du retour à la maison aurait été trop long avec sa carcasse sur les bras, aussi Monsieur Lee avait-il passé quelques jours dans les montagnes à la dévorer tandis que sa famille se faisait un sang d’encre à son sujet à la ferme.

Monsieur Lee était un homme heureux. Il appréciait son travail et de passer sa vie à l’extérieur, et il avait déjà depuis longtemps fait la paix avec le fait qu’il ne deviendrait jamais riche ni ne voyagerait à nouveau à l’étranger. C’était là la raison pour laquelle son épouse et lui-même étaient au bout du compte contents de n’avoir eu que deux enfants. Il les aimait tous deux sans aucune préférence et ne désirait que le meilleur pour eux, mais il était néanmoins également content qu’ils eussent arrêté leurs études afin de pouvoir travailler à plein temps à la ferme, où sa femme cultivait par ailleurs des herbes et des légumes et s’occupait de trois cochons et de quelques dizaines de poulets.

Monsieur Lee songeait déjà à comment il allait pouvoir agrandir son exploitation grâce à cette aide supplémentaire. Peut-être pourraient-ils ajouter une douzaine de volailles supplémentaires, quelques porcs, voire un champ de maïs sucré à leur actif. Il finit cependant par s’extirper de ses rêveries.

« Et si c’est grave, Meuh ? Je ne te l’ai pas encore dit, mais j’ai fait deux syncopes cette semaine, et je ne suis pas passé loin d’en faire deux ou trois de plus.

— Pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?