Книга Bel-Ami / Милый друг - читать онлайн бесплатно, автор Ги де Мопассан. Cтраница 12
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Bel-Ami / Милый друг
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Bel-Ami / Милый друг

– Le docteur Le Brument.

Duroy lui serra la main en balbutiant:

– Je vous remercie.

Puis il voulut prendre place sur la banquette du devant et il s'assit sur quelque chose de dur qui le fit relever comme si un ressort l'eût redressé. C'était la boîte aux pistolets.

Rival répétait:

– Non! Au fond le combattant et le médecin, au fond!

Duroy finit par comprendre et il s'affaissa à côté du docteur.

Les deux témoins montèrent à leur tour et le cocher partit. Il savait où on devait aller.

Mais la boîte aux pistolets gênait tout le monde, surtout Duroy, qui eût préféré ne pas la voir. On essaya de la placer derrière les dos, elle cassait les reins; puis on la mit debout entre Rival et Boisrenard, elle tombait tout le temps. On finit par la glisser sous les pieds.

La conversation languissait, bien que le médecin racontât des anecdotes. Rival seul lui répondait. Duroy eût voulu prouver de la présence d'esprit, mais il avait peur de perdre le fil de ses idées, de montrer le trouble de son âme; et il était hanté par la crainte torturante de se mettre à trembler.

La voiture fut bientôt en pleine campagne. Il était neuf heures environ. C'était une de ces rudes matinées d'hiver où toute la nature est luisante, cassante et dure comme du cristal. Les arbres, vêtus de givre, semblent avoir sué de la glace; la terre sonne sous les pas; l'air sec porte au loin les moindres bruits: le ciel bleu paraît brillant à la façon des miroirs, et le soleil passe dans l'espace, éclatant et froid lui-même, jetant sur la création gelée des rayons qui n'échauffent rien.

Rival disait à Duroy:

– J'ai pris les pistolets chez Gastine Renette. Il les a chargés lui-même. La boîte est cachetée. On les tirera au sort, d'ailleurs, avec ceux de notre adversaire.

Duroy répondit machinalement:

– Je vous remercie.

Alors Rival lui fit des recommandations minutieuses, car il tenait à ce que son client ne commît aucune erreur. Il insistait sur chaque point plusieurs fois:

– Quand on demandera: «Êtes-vous prêts, messieurs?» vous répondrez d'une voix forte: «Oui!»

«Quand on commandera «Feu!» vous élèverez vivement le bras, et vous tirerez avant qu'on ait prononcé trois.

Et Duroy se répétait mentalement: «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras, – quand on commandera feu, j'élèverai le bras, – quand on commandera feu, j'élèverai le bras.»

Il apprenait cela comme les enfants apprennent leurs leçons, en le murmurant à satiété pour se le bien graver dans la tête. «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras.»

Le landau entra sous un bois, tourna à droite dans une avenue, puis encore à droite. Rival, brusquement, ouvrit la portière pour crier au cocher:

– Là, par ce petit chemin.

Et la voiture s'engagea dans une route à ornières entre deux taillis où tremblotaient des feuilles mortes bordées d'un liséré de glace.

Duroy marmottait toujours: «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras.» Et il pensa qu'un accident de voiture arrangerait tout. Oh! si on pouvait verser, quelle chance! s'il pouvait se casser une jambe!..

Mais il aperçut au bout d'une clairière une autre voiture arrêtée et quatre messieurs qui piétinaient pour s'échauffer les pieds; et il fut obligé d'ouvrir la bouche, tant sa respiration devenait pénible.

Les témoins descendirent d'abord, puis le médecin et le combattant. Rival avait pris la boîte aux pistolets et il s'en alla avec Boisrenard, vers deux des étrangers qui venaient à eux. Duroy les vit se saluer avec cérémonie, puis marcher ensemble dans la clairière en regardant tantôt par terre et tantôt dans les arbres, comme s'ils avaient cherché quelque chose qui aurait pu tomber ou s'envoler. Puis ils comptèrent des pas et enfoncèrent avec grand'peine deux cannes dans le sol gelé. Ils se réunirent ensuite en groupe et ils firent les mouvements du jeu de pile ou face, comme des enfants qui s'amusent.

Le docteur Le Brument demandait à Duroy:

– Vous vous sentez bien? Vous n'avez besoin de rien?

– Non, de rien, merci.

Il lui semblait qu'il était fou, qu'il dormait, qu'il rêvait, que quelque chose de surnaturel était survenu qui l'enveloppait.

Avait-il peur? Peut-être? Mais il ne savait pas. Tout était changé autour de lui.

Jacques Rival revint et lui annonça tout bas avec satisfaction:

– Tout est prêt. La chance nous a favorisés pour les pistolets.

Voilà une chose qui était indifférente à Duroy.

On lui ôta son pardessus. Il se laissa faire. On tâta les poches de sa redingote pour s'assurer qu'il ne portait point de papiers ni de portefeuille protecteur.

Il répétait en lui-même, comme une prière: «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras.»

Puis on l'amena jusqu'à une des cannes piquées en terre et on lui remit son pistolet. Alors il aperçut un homme debout, en face de lui, tout près, un petit homme ventru, chauve, qui portait des lunettes. C'était son adversaire.

Il le vit très bien, mais il ne pensait à rien qu'à ceci: «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras et je tirerai.» Une voix résonna dans le grand silence de l'espace, une voix qui semblait venir de très loin, et elle demanda:

– Êtes-vous prêts, messieurs?

Georges cria:

– Oui!

Alors la même voix ordonna:

– Feu…

Il n'écouta rien de plus, il ne s'aperçut de rien, il ne se rendit compte de rien, il sentit seulement qu'il levait le bras en appuyant de toute sa force sur la gâchette.

Et il n'entendit rien.

Mais il vit aussitôt un peu de fumée au bout du canon de son pistolet; et comme l'homme en face de lui demeurait toujours debout, dans la même posture également, il aperçut aussi un autre petit nuage blanc qui s'envolait au-dessus de la tête de son adversaire.

Ils avaient tiré tous les deux. C'était fini.

Ses témoins et le médecin le touchaient, le palpaient, déboutonnaient ses vêtements en demandant avec anxiété:

– Vous n'êtes pas blessé?

Il répondit au hasard:

– Non, je ne crois pas.

Langremont, d'ailleurs, demeurait aussi intact que son ennemi, et Jacques Rival murmura d'un ton mécontent:

– Avec ce sacré pistolet, c'est toujours comme ça, on se rate ou on se tue. Quel sale instrument!

Duroy ne bougeait point, paralysé de surprise et de joie: «C'était fini!» Il fallut lui enlever son arme qu'il tenait toujours serrée dans sa main. Il lui semblait maintenant qu'il se serait battu contre l'univers entier. C'était fini. Quel bonheur! il se sentait brave tout à coup à provoquer n'importe qui.

Tous les témoins causèrent quelques minutes, prenant rendez-vous dans le jour pour la rédaction du procès-verbal, puis on remonta dans la voiture; et le cocher qui riait sur son siège repartit en faisant claquer son fouet.

Ils déjeunèrent tous les quatre sur le boulevard, en causant de l'événement. Duroy disait ses impressions.

– Ça ne m'a rien fait, absolument rien. Vous avez dû le voir du reste?

Rival répondit:

– Oui, vous vous êtes bien tenu.

Quand le procès-verbal fut rédigé on le présenta à Duroy qui devait l'insérer dans les échos. Il s'étonna de voir qu'il avait échangé deux balles avec M. Louis Langremont, et, un peu inquiet, il interrogea Rival:

– Mais nous n'avons tiré qu'une balle.

L'autre sourit:

– Oui, une balle… une balle chacun… ça fait deux balles.

Et Duroy, trouvant l'explication satisfaisante, n'insista pas. Le père Walter l'embrassa:

– Bravo, bravo, vous avez défendu le drapeau de la Vie Française, bravo!

Georges se montra, le soir, dans les principaux grands journaux et dans les principaux grands cafés du boulevard. Il rencontra deux fois son adversaire qui se montrait également.

Ils ne se saluèrent pas. Si l'un des deux avait été blessé, ils se seraient serré les mains. Chacun jurait d'ailleurs avec conviction avoir entendu siffler la balle de l'autre.

Le lendemain, vers onze heures du matin, Duroy reçut un petit bleu:

«Mon Dieu, que j'ai eu peur! Viens donc tantôt rue de Constantinople, que je t'embrasse, mon amour. Comme tu es brave – je t'adore. – Clo.»

Il alla au rendez-vous et elle s'élança dans ses bras, le couvrant de baisers:

– Oh! mon chéri, si tu savais mon émotion quand j'ai lu les journaux ce matin. Oh! raconte-moi. Dis-moi tout. Je veux savoir.

Il dut raconter les détails avec minutie. Elle demandait:

– Comme tu as dû avoir une mauvaise nuit avant le duel!

– Mais non. J'ai bien dormi.

– Moi je n'aurais pas fermé l'œil. Et sur le terrain, dis-moi comment ça s'est passé.

Il fit un récit dramatique:

– Lorsque nous fûmes en face l'un de l'autre, à vingt pas, quatre fois seulement la longueur de cette chambre, Jacques, après avoir demandé si nous étions prêts, commanda: «Feu.» J'ai élevé mon bras immédiatement, bien en ligne, mais j'ai eu le tort de vouloir viser la tête. J'avais une arme fort dure et je suis accoutumé à des pistolets bien doux, de sorte que la résistance de la gâchette a relevé le coup. N'importe, ça n'a pas dû passer loin. Lui aussi il tire bien, le gredin. Sa balle m'a effleuré la tempe. J'en ai senti le vent.

Elle était assise sur ses genoux et le tenait dans ses bras comme pour prendre part à son danger. Elle balbutiait:

– Oh! mon pauvre chéri, mon pauvre chéri…

Puis quand il eut fini de conter elle lui dit:

– Tu ne sais pas, je ne peux plus me passer de toi! Il faut que je te voie, et, avec mon mari à Paris, ça n'est pas commode. Souvent j'aurais une heure le matin, avant que tu sois levé, et je pourrais aller t'embrasser, mais je ne veux pas rentrer dans ton affreuse maison. Comment faire?

Il eut brusquement une inspiration et demanda:

– Combien payes-tu ici?

– Cent francs par mois.

– Eh bien, je prends l'appartement à mon compte et je vais l'habiter tout à fait. Le mien n'est plus suffisant dans ma nouvelle position.

Elle réfléchit quelques instants, puis répondit:

– Non. Je ne veux pas.

Il s'étonna:

– Pourquoi ça?

– Parce que…

– Ce n'est pas une raison. Ce logement me convient très bien. J'y suis. J'y reste.

l se mit à rire:

– D'ailleurs il est à mon nom.

Mais elle refusait toujours:

– Non, non, je ne veux pas…

– Pourquoi ça, enfin?

Alors elle chuchota tout bas, tendrement:

– Parce que tu y amènerais des femmes, et je ne veux pas.

Il s'indigna:

– Jamais de la vie, par exemple. Je te le promets.

– Non, tu en amènerais tout de même.

– Je te le jure.

– Bien vrai?

– Bien vrai. Parole d'honneur. C'est notre maison, ça, rien qu'à nous.

Elle l'étreignit dans un élan d'amour:

– Alors je veux bien, mon chéri. Mais tu sais, si tu me trompes une fois, rien qu'une fois, ce sera fini entre nous, fini pour toujours.

Il jura encore avec des protestations, et il fut convenu qu'il s'installerait le jour même, afin qu'elle pût le voir quand elle passerait devant la porte.

Puis elle lui dit:

– En tout cas, viens dîner dimanche. Mon mari te trouve charmant.

Il fut flatté:

– Ah! vraiment?..

– Oui, tu as fait sa conquête. Et puis écoute, tu m'as dit que tu avais été élevé dans un château à la campagne, n'est-ce pas?

– Oui, pourquoi?

– Alors tu dois connaître un peu la culture?

– Oui.

– Eh bien, parle-lui de jardinage et de récoltes, il aime beaucoup ça.

– Bon. Je n'oublierai pas.

Elle le quitta, après l'avoir indéfiniment embrassé, ce duel ayant exaspéré sa tendresse.

Et Duroy pensait, en se rendant au journal: «Quel drôle d'être ça fait! Quelle tête d'oiseau! Sait-on ce qu'elle veut et ce qu'elle aime? Et quel drôle de ménage! Quel fantaisiste a bien pu préparer l'accouplement de ce vieux et de cette écervelée? Quel raisonnement a décidé cet inspecteur à épouser cette étudiante? Mystère! Qui sait? L'amour, peut-être?»

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