Книга Мои воспоминания. Под властью трех царей - читать онлайн бесплатно, автор Елизавета Алексеевна Нарышкина. Cтраница 9
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Мои воспоминания. Под властью трех царей
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Мои воспоминания. Под властью трех царей

23 апреля мне неожиданно прислан был фрейлинский шифр335, но официально представление мое ко двору состоялось только осенью в Царском Селе, так как в конце апреля родился великий князь Сергей Александрович, а Императрица Александра Федоровна еще не возвратилась из-за границы. Весной мы, по обыкновению, провели несколько недель в Каменноостровском дворце, а потом переехали в Ораниенбаум. Там мне было особенно приятно. Мои впечатления тотчас же передадут живее картину нашего житья-бытья, чем мои рассказы a posteriori336, и потому я решаюсь переписать часть дневника моего, касающуюся этого лета.

«Mercredi 26 Juin 1857. Hier soir à la Катальная, la grande-duchesse337 dit qu’il faudrait arranger quelque chose pour le retour du duc338, qui doit arriver samedi ou dimanche. On discuta des charades, des proverbes, des tableaux, rien ne fut décidé. Dеmain, le p[rin]ce Mestchersky ira en ville et en ramènera le c[om]te Fredro. C’est sur lui que nous fondons nos espérances.

Vendredi 28 Juin. Ah! quelle journée décousue et accidentée – que celle d’aujourd’hui! Ce matin, après la promenade lorsque j’entrai dans le salon, je vis chez maman Fredro et Jean Rumine (ce dernier venu de Péterhof). On causa, on discuta des plans pour la surprise, que l’imagination du c[om]te Fredro produisit en abondance jusqu’au moment du déjeuner. Après, toute la sociéte se réunit de nouveau chez nous. On délibéra au milieu des rires et des saillies spirituelles du c[om]te Fredro, et le résultat fut le choix de trois mots qui doivent être présentés à dîner à la grande-duchesse. Première charade: Art-mai339, 2-de: Vers-vers340, 3-e: Vol-terre341. Ce plan à peu près fixé, on alla faire une promenade en deux calèches du coté de Венки. La première, celle de la grande-duchesse, contenait Hélène et moi dans le fond et le p[rin]ce Mestchersky avec Fredro sur le devant. Dans la seconde, la nôtre, il у avait maman342, Sacha et Rumine. La promenade fut très gaie. En rentrant, nous vimes arriver Boris343 inopinément du camp. Nous avons été engagés à dîner chez la grande-duchesse, mais maman, pour rester avec Boris, parvint à se dégager et m’y envoya seule. On parla de nouveau des charades, puis la grande-duchesse m’invita à rouler avec elle dans son ponney-chaise. Nous fimes une charmante promenade autour du lac, avant de rejoindre le reste de la société, qui s’était transportée pour le thé à la Катальная. Après le thé on écrivit une lettre collective en vers à la p[rince]sse Odoevsky. C’est Fredro, qui en a été le rédacteur. Pendant qu’elle se composait nous jouions aux syllabes, m-lle Strandman, Boris, m-r Numers et nous deux. Lorsque la lettre fut achevée la grande-duchesse nous appela pour en entendre la lecture. Les derniers vers en étaient:

Et nous allons dater cette épitre amicaleDes sommets fortunés de la Гора Katale.

Nous apposâmes tous notre signature à cette missive, et on se sépara bientôt. La grande-duchesse me ramena en ponney-chaise. Le reste de la compagnie rentra à pied. Le duc arrive après-demain et nos charades sont pour samedi.

Samedi 29 Juin. Aujourd’hui, jour de la Saint Pierre, nous avons eu la messe. Après le déjeuner, délibération chez nous. Fredro a admirablement lu des scènes de Molière. Puis, arrangements de nos costumes, avec m-lle Strandman. Ce n’est pas une petite affaire que d’improviser trois jolis costumes pompadour avec les éléments que nous avons à notre disposition. Nous dînâmes tous et Boris aussi chez la grande-duchesse. Après le dîner on se réunit dans une promenade en ligne. J’étais placée à côté de Fredro et sa conversation m’a surprise. Lui, si gai, si en train toujours, me parlait avec tristesse du poids des souvenirs, de l’amertume de la vie présente, dont on suit le cours au milieu des tombeaux de tant de personnes qui nous furent chères, lui parlait-on d’un autre côté, il ripostait vivement par une saillie remplie de verve pétillante, semblable à une fusée qui s’allume soudainement sur un ciel couvert de nuages. Cet esprit brillant, cette gaieté intarissable, ne sont-ils donc qu’un masque, au moyen duquel il dissimule la tristesse qui remplit son coeur? S’il en est ainsi, il est fort à plaindre. Nous prîmes le thé au palais. Boris, nous deux, Hélène et Jorry344, nous étions assis á la table des fruits et du laitage. Boris se mit à parler de mes soi-disant dispositions poétiques, et malgré tous mes efforts récita le malheureux: “Heureux jour de mon âge” qui fait mon tourment depuis l’âge de sept ans que je l’ai composé. Sacha amplifia et assura que je composais des vers jusqu’a présent, que j’en avais une masse. Hélène dit qu’elle le savait et elle et Jorry ajoutèrent qu’ils me les feraient réciter a la Кавалерская345. Par exemple! C’est bien compter sans leur hôte.

Dimanche 30 Juin, Fredro me persécuta pour que je lui dise mes vers. Je refusai carrément. Le duc est arrivé. La surprise aura lieu demain.

Mardi 2 Juillet. D’abord nous eûmes la répétition à 2 heures. On se rendit à la salle des Muses et Fredro commenca à nous grouper. La grande-duchesse représentant la peinture se tenait devant un chevalet. Hélène sculptait le buste de m-me Weymarn qui posait d’un air inspiré. Sacha et moi, nous étions en pose de menuet et le p[rin]ce Mestchersky avec sa pochette représentalt notre maître de danse. Dans un coin, m-r Jorry, Boris et Rumine, ayant l’air de déclamer devant un livre posaient pour la poésie. M-lle Harder, excellente pianiste et élève de Chopin, exécutait pendant la durée du tableau une pièce courte et brillante à laquelle devait succéder l’air du menuet de Don Juan346 chanté par m-me Kochétof (Sokolof), son frére347 et sa soeur348. En même temps les groupes s’animent et on danse un menuet à quatre paires. La grande-duchesse, qui le savait seule commença à nous l’apprendre. Les danseurs étaient: la grande-duchesse avec Jorry, le p[rin]ce Mestchersky avec m-me Weymarn, Boris et moi – Hélène avec Jean Rumine. A la fin du menuet on passa dans la chambre voisine transformée en un délicieux jardin au moyen d’une multitude de plantes de serre chaude posée sur une élévation simmulant une colline, et un Watteau langoureux rappellant le Décaméron de Boccace, et formé par les personnages de la première syllabe, viеnt у figurer le mois de Mai. – Le tout fut représenté par le Wallenstein’s lager, organisé sur les pelouses avoisinant le palais Chinois. Une tente fut dressée, des faisceaux d’armes, des soldats revêtus d’armures du moyen âge, des feux et une scène de la tragédie de Schiller349, récitée par Jorry, Sokoloff et Numers. La seconde charade fut Ververt. D’abord une scène du Misanthrope350 recitée par Fredro, le p[rin]ce Mestchersky et Jean Rumine, puis une scène de Zaïre351 declamée par la grande-duchesse et maman devant le p[rin]ce Mestchersky, représentant Voltaire et le tout fut un tableau représentant la stupéfaction des Nonnes rassemblées autour de la cage de Ververt. C’est Numers qui représentait la mère Abbesse, et il m’avait emprunté ma jupe d’Amazone pour remplir ce rôle. Tout réussit à merveille, il у eut beaucoup de gaieté et la soirée fut charmante. A la fin des charades, la grande-duchesse organisa une ronde qu’on dansa autour de Fredro et à la fin de laquelle elle lui posa une couronne sur la tête. On alla souper et tout le monde se sépara enchanté de sa soirée. Fredro est parti aujourd’hui promettant de revenir dans quelques jours. Nous devons avoir un bal ces jours-ci à la Катальная et c’est maman qui invitera et recevra.

Jeudi 4 Juillet. Nous avons fait une longue promenade à pied avec Hélène – pendant le retour en calèche. Maman m’a dit de réciter à Hélène mes vers sur le bal, que j’ai faits ce printemps. Je m’en défendis d’abord, mais force me fut de céder et de les accompagner du Myosotis et de l’Hirondelle. Je crois qu’ils plurent à Hélène.

Samedi 6 Juillet. Demain le bal! Toutes nos têtes sont pleines de cette idée, on compte et recompte les invités – on lit avec satisfaction les billets, qui acceptent, avec dépit ceux qui refusent. On va voir la Гора Katale ornée d’une multitude de fleurs. Entre les mille distractions de ces jours j’ai trouvé quelques moments à consacrer … à la Muse! Voici ce qui l’a provoqué. Hier la grande-duchesse me ramena du mont Katale. La soirée était magnifique et je ne résistai pas à la tentation de m’établir pour quelques instants sur le balcon pour у attendre le reste de la sociéte, qui revenait à pied. L’air était pur et embaumé des parfums du soir, le ciel serein, la température vivifiante et douce, le silence troublé seulement par les échos des voix de la societé attardée, tout concourait pour pénétrer mon âme d’un sentiment piein de douceur, je levai les yeux vers la voute céleste si calme, si majestueuse de son harmonie grandiose. Je sentis, que si j’étais née poète, ce moment m’aurait inspiré mes plus beaux chants, et je plongeai dans l’intérieur de mon âme, pour en tirer les expressions qui devaient rendre les sentiments que j’éprouvais. Cette nuit encore, j’y rêvai, et ce matin, je mis en ordre mes idées et j’ecrivis:

Plus que l’éclat brillant du jour plein de splendeurJ’aime l’heure douteuse, où la lune projetteDe son pâle rayon la rêveuse douceur.J’aime d’un ciel serein la majesté muetteEt le calme imposant d’un beau soir de l’étéEt j’aime à veiller seule à l’heure où tout sommeille,A sentir s’élever la douce voluptéQu’un rêve, une prière en mon âme réveille.C’est l’heure, où tout repose, où la nature dort,Seule l’âme s’élève au-dessus de la terreOubliant tous ses maux, et perce avec transportLes voiles ténébreux, pour trouver la lumière.Le calme de la nuit se répand dans mon cœur,Je le sens palpiter d’un frisson plein de charmes.Mon être est traversé par un souffle enchanteurQui me fait voir le Ciel, et qui tarit mes larmes.Et dans mon cœur résonne un son mélodieux,Car tu descends alors, divine poésie,Et mon âme en extase en s’élançant aux CieuxPar un douleureux charme est touchée et ravie!O! moment plein d’ivresse! ô suave douleurQui frappe en tons réveurs, les cordes de ma lyre.Le cœur sait te comprendre et sentir ta douceur,Hélas, l’esprit n’a pas de mots pour te décrire!

Je me trouve dans un de ces moments de la vie, où on voudrait la passer à contempler une belle nuit étoilée, à lire des poésies inspirées, à écouter les accords d’une voix s’élançant vers le Ciel, accompagnant le son grave d’une orgue réligieuse; dans un de ces moments aussi où l’on sent le manque dans votre coeur de la plénitude de vie que vous trouvez dans la nature. Oh! s’il était permis à ce coeur de former un désir!… O doux, mais irréalisable rêve, quitte moi – une sphère étroite est tracée autour de ma vie. Que ma pensée s’y renferme aussi.

8 Juillet. J’ai eu une conversation sur la poésie avec Fredro, dont j’ai infiniment joui. Il a un esprit sérieux et médidatif sous l’apparence comique, dont il l’enveloppe, et je lui trouve beaucoup de charme. Il m’a appris une jolie énigme de Jean Jacques Rousseau dont le mot est Portrait.

Enfant de l’art, rival de la natureSans prolonger les jours, j’empêche de mourir.Plus je suis vrai, plus je fais impostureEt je deviens trop jeune à force de vieillir.

Le duc est de nouveau parti et pour son retour on prépare une nouvelle surprise.

Samedi 13 Juillet. La grande-duchesse est pour moi d’une bonté qui me touche, je me promène presque tous tes jours avec elle, et nous causons beaucoup. Aujourd’hui, je l’ai accompagnée à une visite qu’elle a faite à la p[rince]sse d’Oldenbourg. Comme je rentrais à pied du pavillion Chinois je vis Hélène à sa fenêtre qui me cria d’entrer chez elle. Je le fis et après une petite causerie, elle me pria de venir jouer du piano à la Кавалерская, où Fredro devait faire son portrait. Comme cela avait été mon intention, je consentis avec plaisir et Fredro dessinant Hélène posant, moi, jouant, et tous les trois causant par intervalles, nous passâmes une heure fort agréable. Après le dîner chez la grande-duchesse, nous fîmes une courte promenade à pied avec Fredro. Tout en causant gaiement, nous depassâmes un banc, sur lequel deux messieurs étaient assis. Nous en étions à quelques pas, lorsque l’un d’eux, un militaire se leva vivement et d’une voix haute s’adressa à nous: “Pardon messieurs et mesdames, faites moi la grâce de vous arrêter un moment”. Un peu surpris, nous fîmes ce qu’il voulait et lui et son compagnon s’approchèrent de nous. Fredro prit la parole et lui demanda ce qu’il désirait: “Je suis aveugle”, monsieur, répondit il, “j’ai perdu mes yeux à la guerre: une pension que la grande-duchesse m’accorde aide à ma subsistance ainsi qu’à celle de ma famille, mais depuis quelque temps j’ai cessé de la recevoir. J’etais venu à Oranienbaum pour voir m-r Numers et lui demander de ne pas m’oublier, mais voilà trois jours que je cherche en vain à le voir; on me dit toujours qu’il est en ville. Faites-moi la grâce de me dire, si la grande-duchesse doit passer par cette allée, je l’attends depuis plusieurs heures pour me jeter à ses pieds et lui exposer ma demande”. Ce récit fait avec l’accent de la vérité nous toucha tous beaucoup. Fredro parla au malheureux officier avec une bienveillance qui me donna une bien bonne opinion de son coeur. Il lui dit de venir le lendemain le trouver au palais et d’y demander m-r Fredro. “Le c[om]te Fredro?” – demanda le pauvre aveugle en se decouvrant. “Oui, monsieur”, répondit Fredro en rendant son salut au malheureux qui cependant ne pouvait pas le voir. Maman promit de parler de lui à la grande-duchesse, Fredro, de faire de même à l’égard de Numers, et j’espère que ce pauvre homme sera consolé. Nous continuâmes notre promenade en silence; cette rencontre nous avait attristés. Moi pour ma part, j’y réfléchis longuement et douloureusement. A coté du luxe et de l’insouciance d’une vie heureuse, que de misères inconnues! Quel contraste avec la manière dont nous avions passé la journée avec les angoisses du pauvre homme pendant qu’il épiait la grande-duchesse pour lui adresser sa requête. Quand nous rentrâmes on se rendait aux parterres, où le thé était servi. La fraicheur de la soirée nous fit rentrer au salon. On fit de la musique, je jouai, la grande-duchesse chanta.

Lundi 15 Juillet. Enfin, enfin, la surprise prend des formes définies. Voici ce qu’on a arrêté. Premièrement, on aura Mignon de Goethe en trois tableaux. Un air de Beethoven se trouve parfaitement adapté aux délicieuses paroles: “Kennst Du das Land”352. – Mignon sera représenté par Hélène Strandman, le barde par Jorry, Wilhelm-Meister par Jean Rumine, dont on ne verra que le chapeau caché comme il doit l’être par les arbres. Sur une estrade un tableau Italien imité du repos de Winterhalter353, sera formé par la grande-duchesse, m-me Timachef, la c[omte]sse Pouchkine354, Schérémétieff355, Sacha et moi en fait de dames et quelques hommes. Dans le second tableau, toutes les italiennes deviendront des statues à l’aide de draps de lit, de gaze roulée autour des cheveux et de force poudre de riz, sur la figure. Un clair de lune doit les éclairer d’une lumière fantastique. Enfin pour le 3-me tableau, la lumière rose de l’aurore remplacera la bleuâtre clarté de la lune, une colline sera simulée par un banc deguisé par un massif de fleurs. C’est l’arrivée des voyageurs qui appellent Mignon vers eux. Les tableaux seront suivis d’une pantomime inventée par Fredro. Une jeune personne (m-me Weymarn) aime et est aimée d’un jeune homme (Fredro), le grand-père (m-r Weymarn) consent à leur union. De joie ils exécutent une danse. La grand-mère (le c[om]te Dmitry Nesselrode) bourrue et grondeuse entre en fureur de les trouver ensemble, elle chasse le soupirant, gronde sa petite fille, bat son mari et finit par avoir une attaque de nerfs. Pour la calmer on fait venir un magnétiseur qui reussit à l’endormir. Alors le rideau du fond se lève et on voit apparaître les songes qui la bercent dans son sommeil en lui retraçant son passé. Le premier tableau la montre enfant (Sacha) jouant avec un compagnon de son âge (Jean Rumine), derrière eux leur ange gardien (la grande-duchesse) les protège et veille sur eux. Puis plusieurs tableaux représentant des scènes de la jeunesse lorsqu’un tuteur barbare veut la condamner à un mariage contre son inclination. Alors elle sera représentée par Hélène. La vieille femme sera réveillée par une sérénade, adressée à sa petite fille et chantée par Sokoloff. La grande-duchesse у répondra pour m-me Weymarn par cette délicieuse romance du c[om]te Vielhorsky “Je ne mens pas”. L’effet en sera charmant. L’influence du rêve amollit le coeur de la vieille mégère qui consent à tout et le résultat final sera une styrienne dansée par tous les personnages, et que la grande-duchesse doit nous apprendre. Pendant toute la durée de la pantomime une musique adaptée au sujet se fera entendre. Voilà le programme detaillé de la surprise qui doit être exécutée après-demain. Nous répétons avec zèle jusque-là.

Samedi 20. Je n’écrirai qu’un mot ce soir. Je reviens de la soirée de la grande-duchesse. On a joué an secrétaire356, je m’y suis excessivement amusée. On a dit beaucoup de jolies choses, surtout Fredro, la grande-duchesse, le p[rin]ce Wiasemsky et m-r Titoff. Moi aussi j’étais en veine et plusieurs de mes réponses ont eu du succès. Aprés le secrétaire le duc mit le feu à tous les billets. Heureusement que j’ai reussi à en dérober quelques uns. Ceux-là je les garde en souvenir de cette charmante soirèe.

Dimanche 21. Je viens de traverser un moment des plus énivrants, un moment de triomphe de jouissance dont je me rappellerai toute ma vie. Nous dinâmes aujourd’hui à la Кавалерская avec Boris, Jorry et Numers. Le reste de la société avait été engagé chez la grande-duchesse. Aprés le dîner, Boris trouva mes vers sur le bal, que j’avais copiés pour maman et qu’elle avait laissés sur sa table de toilette. S’en emparer, s’enfuir avec ne fut pour lui que l’affaire d’un instant. Le moment suivant me vit courir après lui pour lui enlever le papier. Nous arrivâmes ainsi, moi le poursuivant sur le balcon, juste au moment où la société revenant en bande du dîner de la grande-duchesse passait devant nous. “Comte Fredro, comte Fredro, voulez vous lire les vers de ma soeur?” – cria Boris à tue-tête. Et dans un moment Fredro attrappait le papier et se disposait à le lire. “C[om]te Fredro, je vous en supplie, ne le lisez pas! rendez-le moi”, – criai-je de toutes mes forces. Mais Fredro ne voulut rien entendre et et se mit à lire tout haut le reste de la société en cercle autour de lui. Je ne pouvais rien faire! J’étais au comble de la confusion, je me tus, je fis comme les autres, j’écoutai. Fredro lisait cependant, il lisait avec expression d’approbation, qu’un murmure confirmait. Je suivais avec avidité chacune des paroles, qui sortaient de sa bouche. Mes vers me semblèrent mélodieux, un horizon sans bornes s’ouvrait devant moi, une jouissance pure enivrante faisait frémir mon âme, je me sentais poète enfin! Et cette conviction descendit sur moi avec son auréole que le monde ne connait pas, car il ne donne rien qui у ressemble. Le сiel, le soleil couchant, dont les rayons jouaient avec les arbres, la brise qui caressait mon visage tout semblait m’inviter à un commerce doux fraternel, car l’âme poetique et les merveilles de la nature vivent dans un accord plein d’harmonie. Pendant que j’éprouvais ces différents sentiments Fredro avait fini de lire. II monta chez nous. “Princesse, me dit il, je ne puis pas vous remercier de m’avoir laissé lire vos vers, car assurément il est impossible d’avoir mis plus de mauvaise grâce à accorder cette permission, que vous ne l’avez fait, mais je remercie votre frère pour la jouissance qu’il vient de me procurer”. Fredro me dit encore bien des choses du même genre, j’en fus enivrée, j’en fus heureuse et je m’enfuis pour le confier à l’heure même à ce cher et discret confident. Suis-je vraiment poète? Ah! Сe don serait trop divin pour mon âme!

Lundi 28 Juillet. Fredro nous parle de sa tristesse de quitter Oranienbaum. “Je ne puis vous exprimer, – nous dit-il, – la peine que j’éprouve à quitter cet Eldorado ce paradis sur la terre, où on est à l’abri de toutes les préoccupations de la vie, de toute inimitié de la part des hommes, où les plus graves soucis qu’on ait sont les craintes de n’avoir pas assez de fleurs pour les tableaux”. La tristesse de Fredro me gagna, je me sentis d’une mélancolie vague, qui me suivit dans mes lectures. En effet c’est avec chagrin, que je vois la fin des bonnes relations, qui nous ont unis cet été. Deux jours restent encore, car le 25 la grande-duchesse part pour Strelitz et nous pour la ville d’abord et puis pour Stepanowsky. “Adieu, – me dit Fredro, en partant,– conservez moi un bon souvenir, et cultivez votre bien bien beau talent. N’arrêtez jamais l’essor de votre inspiration, lorsqu’elle se fera sentir et dans ces moments pensez un peu à moi”. Ce soir nous eûmes une longue conversation très confiante avec Hélène Strandman. Elle me dit que j’étais très dissimulée que je cachais avec soin mes sentiments et mes actions même les plus simples, que j’étais énormément exaltée et qu’il у avait dans mon caractère de quoi souffrir beaucoup. Elle a peut être raison, mais je m’étonne qu’elle l’ait compris.

Jeudi 25. Je reviens dans notre Кавалерский корпус, après avoir reconduits nos chers partants jusqu’à Cronstadt. Il faisait si beau, quand nous nous arrêtâmes en vue du magnifique bâtiment l’Olaf qui devait les emporter. La musique salua l’arrivée de la grande-duchesse, C’était joli à voir, et joli à entendre en plein air, en pleine mer par un temps aussi merveilleusement splendide. On monta sur le superbe bâtiment de guerre, tous les officiers étaient en grande tenue, tout avait un air de fête. Il fallait bientôt prendre congé et nous le fîmes bien cordialement de part et d’autre. Et maintenant que cette page est tournée je jette un long et triste regard sur le séjour qui vient de finir, et je m’en retrace les incidents si récents encore, mais qui dès ce moment tombent dans le gouffre du passé et ne vivront plus qu’en souvenir! Adieu, charmant séjour, adieu! Mon coeur est triste, mon esprit inquiet… Ah! je sens que je me suis gâtée au contact du monde! Pourquoi cette tristesse? Dans trois jours, ne serai-je pas à Stépanowsky? Pourquoi cette pensée ne me réjouit elle plus, comme par le passé? Se peut-il que j’aie à ce point contracté l’habitude d’une vie mondaine que la solitude de la campagne m’effraye et ne me suffise plus? Oh, mon coeur que vous êtes faible! Que vous vous attachez facilement aux jouissances terrestres!»357

В нашем милом Степановском я успокоилась и вернула свое равновесие. Мы с сестрой занимались нашей школой, и я по целым часам ездила верхом в сопровождении моего берейтора, отставного вахмистра, уроженца одной из наших деревень. По свойству моему сближаться с людьми, я вступала с ним в продолжительные разговоры и ловила в его словах черты души народной. Раз он сказал мне, вздохнув глубоко: «Если бы жив был Государь Николай Павлович, мы Севастополя никогда не отдали бы». Так дорога нашему народу честь родины. Можно судить по этому, как болезненно отзывались на нем поражения последней войны.

Осенью в Царском Селе я была официально представлена, и, согласно тогдашнему этикету, в платье декольте – хотя это было утром после обедни, Императрица сказала мне: «C’est vous, ma chère, qui faites de si jolis vers?»358 Я смутилась и отвечала: «Ils ne sont pas bien fameux, Madame»359. «Si fait, – продолжала Государыня, – on m’en a parlé avec beaucoup d’éloges»360. Мой первый бал был гусарский. Мне сделали по этому случаю красивое белое тюлевое платье, очень воздушное и пышное. Я чувствовала себя хорошо одетой, и мне было особенно весело. Вообще в эту зиму я веселилась вовсю. Придворных балов было очень много, больших и малых, и folle journée361, и ни в одном дворце не происходило танцев без моего участия. Мой отец уже на коронации был назначен гофмейстером при великой княгине Марии Николаевне, но сразу после коронационных торжеств великая княгиня уехала за границу – по возвращении же своем через год она пожелала сблизить нас со своими дочерьми362, и вот с тех пор начались непрерывающиеся дружеские отношения, которые связывают нас с милыми принцессами до сих пор. Мы собирались у Марии Максимилиановны вечерами по вторникам, кроме нас были еще Адина Философова и Вера Бек. У Евгении Максимилиановны были свои подруги моложе нас: Ольга Философова и Мери Перовская. Великая княгиня иногда приходила к нам. Она была с нами матерински добра, отношения были самые непринужденные, мы звали принцесс по именам, и не было намека на придворный этикет. Мария Максимилиановна начала выезжать на небольшие балы, великий князь Николай Николаевич363 дирижировал всеми балами, он был весел и мил и вносил всюду оживление, с нами танцевал постоянно и звал нас своим летучим эскадроном. Помимо моей веселости у меня был еще свой маленький поэтический ореол. Фредро и другие разболтали о моих стихах, их переписывали, и они ходили по рукам. Иногда мои кавалеры цитировали мне их на балах, а люди постарше делали мне инквизиторские вопросы, желая проникнуть в душу веселой девочки, которая так умела мечтать. «У Вас удивительные глаза, – говорили мне, – в них многое можно прочесть». При моей страшной субъективности, понятно, что столько впечатлений должно было отразиться на напряженных до крайности нервах. Весной я почувствовала в себе сильное утомление. Мы уехали в деревню, но я не успокоилась и не отдохнула. Я старалась сбросить с себя это тяжелое чувство немощи, но оно меня давило. Любимая моя верховая езда не приносила уже мне бодрости. Я страдала бессонницей и нервными болями в лице. Когда мы приехали в Ораниенбаум, все ахнули, так я побледнела и похудела. Однако я все еще старалась бороться с охватывающей меня непривычной общей слабостью. Раз я поехала к другу моему Мери Ламздорф на ее дачу. Я ее застала у колыбели своей новорожденной дочери: она была счастлива полнотой своей жизни. Образ ее запечатлелся в моей памяти таким, как я ее видела в этот день. Я не знала тогда, что я никогда более не увижу ее на земле. Другой раз великая княгиня Мария Николаевна взяла нас с собой на целый день в Гостилицу к Татьяне Борисовне Потемкиной. Мы приехали на Сергиевскую дачу364 к обедне, так как это было в воскресенье, и после завтрака уселись в двух экипажах и помчались на все время скачущих четверках. В первой коляске была великая княгиня с графиней Александрой Андреевной Толстой и с графом Г.А. Строгановым; во второй – Мария Максимилиановна и мы обе без всякого начальства, что было нам очень приятно. Быстрая езда нас восхищала, все расстояние было около 25 верст, на полдороге готовые подставы нас ожидали, и мы через несколько мгновений летели снова. Мы провели прелестный день, гуляя по дивному парку, – вошли, между прочим, в грот, где холодный как лед родник наполнял бассейн никогда не замерзающей водой. Я прикладывала эту воду на мою бедную голову, в которой чувствовала постоянно угнетающую тупую боль, тщетно ища облегчения. После обеда мы уехали. Опять бешено скакали, приехали вечером в Сергиевку, а в Ораниенбаум уже довольно поздно. Этот день был бы для меня приятен, если бы только я не чувствовала себя столь бесконечно разбитой. Но поездка была последней моей попыткой встрепенуться. Через несколько дней я заболела очень серьезно и болела долго, поправлялась еще дольше и уже никогда не могда оправиться совершенно. Мои нервы, о которых я не имела понятия, дали себя знать и расшатались не на шутку.