Книга L'abîme - читать онлайн бесплатно, автор Чарльз Диккенс. Cтраница 3
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L'abîme
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L'abîme

Wilding se leva en sursaut.

– Impossible!.. – s'écria-t-il, – que me racontez-vous là?.. Quelle histoire absurde!.. Regardez ce portrait… ne vous l'ai-je pas déjà dit?.. C'est le portrait de ma mère!..

– Quand cette malheureuse dame, dont vous me montrez l'image, vint, au bout de quelques années, vous retirer de l'Hospice, – reprit Madame Goldstraw d'une voix ferme, – elle fut victime… et vous aussi, monsieur… d'une terrible méprise.

Wilding retomba lourdement sur son fauteuil.

– Il me semble que la chambre tourne autour de moi!.. – fit-il. – Ma tête!.. ma tête!..

La femme de charge, toute éperdue, courut à la fenêtre qu'elle ouvrit, puis à la porte pour appeler du secours; mais un torrent de pleurs, s'échappant à grand bruit des yeux de Wilding, vint heureusement le soulager. D'un signe, il pria Madame Goldstraw de ne point le quitter. Elle attendit la fin de cette explosion de larmes. Wilding revint à lui, leva la tête, et considéra sa femme de charge d'un air soupçonneux et irrité, avec toute la déraison d'un homme faible.

– Méprise!.. méprise!.. – s'écria-t-il, répétant le dernier mot qu'il avait dit. – Méprise!.. – continua-t-il d'un ton farouche. – Et si vous me trompiez vous-même!..

– Malheureusement, – dit-elle, – je ne puis avoir commis une erreur. Je vous dirai pourquoi dès que vous serez en état de m'entendre.

– Tout de suite!.. tout de suite!.. – reprit Wilding. – Ne perdons pas un moment.

L'air égaré avec lequel il lui enjoignait de parler fit comprendre à Madame Goldstraw qu'il serait d'une générosité cruelle et maladroite de lui laisser un seul moment d'espérance. Il suffisait maintenant d'un mot pour mettre à jamais un terme à cette illusion qu'il aurait voulu garder. Ce mot, qui allait l'accabler, elle devait le lui dire.

– Je viens de vous apprendre, – dit-elle, – que l'enfant de la dame dont vous avez le portrait avait été adopté et emmené par une autre dame étrangère. – Vous me voyez aussi sûre de ce fait que je le suis d'être ici, auprès de vous en ce moment. Me voici forcée de vous affliger encore, monsieur, et cela contre mon gré. Veuillez me suivre maintenant, vous reporter dans le passé, trois mois après l'événement dont nous parlons. J'étais alors à l'Hospice de Londres, toute prête à emmener, suivant les ordres que j'avais reçus, quelques enfants à notre succursale de la campagne. Il y eut ce jour-là, je m'en souviens, une discussion relative au nom que l'on allait donner à un petit nouveau venu. Nous donnions en général à nos petits anges, des noms que nous prenions tout simplement au hasard dans l'Almanach des Adresses. Ce jour-là, l'un des gentlemen directeurs, qui feuilletait le Registre, trouva que le baby qui venait d'être adopté, Walter Wilding, avait été effacé, «Un nom à prendre,» dit-il; «donnez-le à celui qui vient d'être reçu tout à l'heure. C'est le moyen de vous mettre d'accord.» On appela donc ce nouvel enfant Walter Wilding comme l'autre qui nous avait été retiré… Ce nouvel enfant, c'était vous.

La tête de Wilding retomba sur sa poitrine.

– C'était moi!.. – murmura-t-il.

– Peu de temps après votre entrée dans l'institution, monsieur, – reprit la femme de charge, – je la quittai pour me marier. Si vous voulez ici me prêter toute votre attention, vous allez voir comment une funeste méprise a eu lieu naturellement. Onze ans et demi se passèrent avant que celle que, tout à l'heure, vous croyiez avoir été votre mère, ne retournât à l'Hospice pour y chercher le fils dont elle s'était séparée. Elle savait qu'il s'appelait Walter Wilding, et rien de plus. La servante qu'elle émut par sa douleur ne put lui désigner que le seul Walter Wilding alors connu dans la maison. Moi, qui aurais pu rétablir la vérité des choses, j'étais bien loin alors. Aucun indice, aucun soupçon, aucun doute ne put donc alors empêcher cette cruelle erreur de s'accomplir. Oh! je souffre pour vous, monsieur, vous penserez toujours avec raison que le jour où je suis entrée chez vous fut un jour de malheur, j'y suis venue bien innocemment, je vous le jure. Et pourtant j'éprouve le sentiment d'une mauvaise action que je viens de commettre. Que n'ai-je pu dissimuler le trouble où la vue de ce portrait et les confidences que vous m'avez faites m'avaient jetée malgré moi! Si j'avais eu la sagesse de me taire, vous n'auriez jamais eu l'occasion d'apprendre toutes ces choses douloureuses et, même à l'heure de votre mort, tranquille et sans inquiétude…

Elle s'arrêta, car Wilding redressa brusquement la tête et la regarda. Son honnêteté native se soulevait dans son cœur et protestait contre ce dernier mot de Madame Goldstraw.

– Entendez-vous par là que vous auriez voulu me cacher tout ceci… – s'écria-t-il, – me le cacher à jamais si vous l'aviez pu?

– Je me flatte de pouvoir toujours dire la vérité quand on me la demandera, – répondit Madame Goldstraw. – Certes, il vaut mieux pour moi et pour ma conscience de n'être pas chargée d'un pareil secret. Mais cela vaut-il mieux pour vous? De quelle utilité peut-il vous être, maintenant, de le connaître, le secret qui vous déchire?

– De quelle utilité? – répéta Wilding. – Mais, grand Dieu, si cette histoire est vraie!..

– Si elle ne l'était point, vous l'eussé-je racontée, monsieur? – répliqua-t-elle.

– Je vous demande pardon, – continua Wilding. – Il faut être indulgente pour moi. Je ne puis encore trouver la force d'admettre comme réelle cette terrible découverte. Nous nous aimions si tendrement l'un et l'autre (il montrait le portrait en disant cela). Je sentais si profondément que j'étais son fils… Elle est morte dans mes bras, Madame Goldstraw, morte en me bénissant comme une mère seule peut bénir. Et c'est après tant d'années qu'on vient me dire: Elle n'était pas ta mère!

– Malheureusement, – fit Madame Goldstraw, – elle ne l'était pas, mais elle vous aimait…

– Je ne sais ce que je dis! – s'écria-t-il.

Déjà l'empire passager qu'il avait pu prendre sur lui-même quelques moments auparavant et qui lui avait donné un peu de force s'évanouissait.

– Ce n'était pas à ce terrible chagrin que je songeais tout à l'heure. Non, c'était tout autre chose qui me traversait l'esprit… Oui, oui, vous m'avez surpris et blessé, Madame Goldstraw. Votre langage me donne à supposer que vous regrettez de ne m'avoir point laissé une erreur qui m'était si chère. Ne vous laissez pas aller à de telles pensées, et surtout gardez-vous bien de me les dire. C'eût été un crime que de m'épargner la vérité. Je sais que votre intention était bonne, je le sais! je ne désire pas vous affliger, vous avez bon cœur. Mais songez à la situation où je me trouve. Dans la fausse conviction que j'étais son fils, elle m'a laissé tout ce qu'elle possédait. Je ne suis pas son fils. J'ai pris la place, j'ai accepté, sans le savoir, la place d'un autre. Cet autre, il faut que je le trouve. L'espoir de le retrouver est le seul qui me relève et me fortifie au milieu de ce terrible chagrin qui me frappe. Vous en devez savoir bien plus que vous ne m'en avez raconté, Madame Goldstraw? Quelle était cette étrangère qui a adopté l'enfant? Son nom, vous l'avez entendu?

– Je ne l'ai jamais entendu… je ne l'ai jamais revue elle-même… je n'ai jamais reçu de ses nouvelles…

– Elle n'a donc rien dit lorsqu'elle a emmené l'enfant?.. Rappelez vos souvenirs, elle doit avoir dit quelque chose.

– Une seule, monsieur, une seule qui me revienne. Cette année-là, l'hiver avait été très cruel et beaucoup de nos petits élèves avaient souffert. Lorsqu'elle prit le baby dans ses bras, l'étrangère me dit en riant: «Ne soyez pas en peine pour sa santé. Il grandira sous un climat meilleur que le vôtre. Je vais le conduire en Suisse.»

– En Suisse?.. dans quelle partie de la Suisse?

– Elle ne me l'a pas dit.

– Rien que ce faible indice… rien que ce fil léger pour trouver ma route… – murmura Wilding, – et un quart de siècle s'est écoulé depuis ce jour! Que dois-je faire?

– J'espère que vous ne vous offenserez pas de la franchise de mon langage, monsieur, – reprit Madame Goldstraw. – En vérité, je ne vois point pourquoi vous voilà si fort incertain de ce que vous avez à faire. Chercher cet enfant! Qui sait s'il est en vie? Et, monsieur, s'il vit, il ne connaît sûrement pas l'adversité. L'étrangère qui l'a adoptée était une femme de condition; elle a dû prouver au directeur de l'Hospice qu'elle était en état de se charger d'un enfant, sans quoi on ne lui aurait point permis de le prendre. Si j'étais à votre place, monsieur, pardonnez-moi de vous parler si librement… Je me consolerais en songeant que j'ai aimé la pauvre femme qui est là (elle montrait à son tour le portrait), aussi fortement qu'on aime sa mère et qu'elle a eu pour moi la même tendresse que si j'avais été son fils. Tout ce qu'elle vous a donné, n'est-ce pas en raison de son affection même? Son cœur ne s'est jamais démenti envers vous durant sa vie; le vôtre, j'en suis bien sûre, ne se démentira jamais envers elle. Quel meilleur droit pouvez-vous avoir à conserver ses présents?..

– Arrêtez! – s'écria Wilding.

Sa probité native lui faisait voir le charitable sophisme que lui opposait Madame Goldstraw pour le consoler.

– Vous ne comprenez pas, – reprit-il; – c'est parce que je l'ai aimée que mon devoir maintenant est de faire justice à son fils. Un devoir sacré, Madame Goldstraw. Oh! si ce fils est encore au monde, je le retrouverai. Je succomberais, d'ailleurs, dans cette terrible épreuve, si je n'avais la ressource et la consolation de m'occuper tout de suite activement de ce que ma conscience me commande de faire. Il faut que je cause sans retard avec mon homme de loi. Je veux l'avoir mis à l'œuvre avant de m'endormir ce soir.

Il s'approcha d'un tube attaché à la muraille, et par ce moyen appela quelqu'un dans le bureau de l'étage inférieur.

– Veuillez me laisser un moment, Madame Goldstraw, – dit-il, – je serai plus calme et plus en état de causer avec vous dans l'après-midi! nous nous plairons ensemble, j'en suis sûr, en dépit de ce qui arrive. Oh! ce n'est pas votre faute… Donnez-moi la main, Madame Goldstraw. Et maintenant faites de votre mieux dans la maison…

Comme Madame Goldstraw se dirigeait vers la porte Jarvis parut sur le seuil.

– Envoyez chercher Monsieur Bintrey, – lui dit Wilding, – j'ai besoin de le voir sur-le-champ.

Le commis n'était point venu là seulement pour recevoir un ordre. Quelqu'un le suivait qu'il avait mission d'introduire; il annonça:

– Monsieur Vendale.

Le nouvel associé de Wilding et Co. entra.

– Excusez-moi pour un moment, George Vendale, – dit Wilding, – j'ai encore un mot à dire à Jarvis. Envoyez, envoyez tout de suite chercher Monsieur Bintrey.

Jarvis, avant de quitter la chambre, déposa une lettre sur la table.

– De nos correspondants de Neufchâtel, monsieur, je pense, – dit-il. – Cette lettre porte un timbre Suisse.

Nouveaux personnages en scène

Ces mots: «Un timbre Suisse,» après ce que Madame Goldstraw venait de lui apprendre, redoublèrent l'agitation de Wilding, au point que son nouvel associé pensa qu'il ne lui était plus permis de ne point s'en apercevoir.

– Wilding, – dit-il vivement, – qu'est-il arrivé?

Puis il s'interrompit, jetant un regard curieux tout autour de lui, comme s'il cherchait une cause visible à cette scène extraordinaire. Wilding lui saisit la main.

– Mon bon George Vendale… – s'écria-t-il avec des yeux suppliants.

En même temps, il serrait cette main qu'il tenait dans les siennes, non par forme de politesse ni pour souhaiter la bienvenue à son associé, mais pour lui donner du secours.

– Mon bon George Vendale, – reprit-il à voix basse, – il m'est arrivé tant de choses que je ne pourrai jamais redevenir moi-même. Et qu'est-ce que je dis?.. Comment le pourrais-je, puisque je ne suis plus moi?

Le nouvel associé, qui était un beau jeune homme, du même âge à peu près que Wilding, à la tournure leste, à l'œil vif et résolu, leva les épaules.

– Comment cesser d'être soi-même? – fit-il.

– Ah! du moins, – repartit Wilding, – je ne suis pas ce que je croyais être!

– Pour l'amour du ciel, que croyez-vous donc être que vous n'êtes pas?

Il y avait dans le ton de Vendale un air de compassion et de franchise qui eût poussé à la confiance un homme autrement réservé que ne l'était Wilding. Aussi quand Vendale lui eut fait observer qu'il pouvait bien l'interroger sans indiscrétion, maintenant que leurs affaires étaient communes et qu'ils étaient associés, il n'y tint plus.

– Là! George, là encore! – soupira-t-il, en s'enfonçant dans son fauteuil. – Associés! Vous me faites souvenir que je n'avais aucun droit de m'introduire dans les affaires; elles ne m'étaient pas destinées. L'intention de ma mère, c'est-à-dire de la sienne, ne fut jamais que cela fût à moi; elle voulait certainement que tout fût à lui.

– Voyons, voyons, – fit Vendale, essayant sur Wilding, après un court silence, ce pouvoir que toute nature bien trempée prend toujours sur un cœur faible, surtout lorsqu'elle a le désir bien marqué de venir en aide à sa faiblesse; – soyez raisonnable, mon cher Walter. S'il s'est fait quelque mal autour de vous et à votre sujet, je suis bien sûr que ce n'est point par votre faute. Ce n'est pas après avoir passé trois ans à vos côtés, dans ces bureaux, sous l'ancien régime, que je pourrais douter de vous. Laissez-moi commencer notre association en vous rendant un service. Je veux vous rendre à vous-même. Mais, tout d'abord, dites-moi, cette lettre se rapporte-t-elle en quoi que ce soit à l'affaire qui vous agite?

– Oh! oui, – murmura Wilding, – cette lettre!.. Cela encore?.. Ma tête!.. ma tête!.. J'avais oublié cette lettre et cette coïncidence… un timbre de Suisse!

– Bon, – reprit Vendale, – je m'aperçois que ce pli n'a pas été ouvert. Il n'est donc pas probable qu'il ait rien de commun avec le trouble où je vous vois. Cette lettre est-elle à votre adresse ou à la mienne?

– À l'adresse de la maison.

– Si je l'ouvrais et la lisais tout haut pour vous en débarrasser!.. Elle est tout simplement de notre correspondant de Neufchâtel, le fabricant de vins de Champagne. Tenez, je la lis:

Cher Monsieur,

Nous recevons votre honorée du 28 dernier nous annonçant votre association avec M. Vendale, et nous vous prions d'en recevoir nos sincères félicitations. Permettez-nous de profiter de cette occasion pour vous recommander d'une façon toute particulière M. Jules Obenreizer.

– Impossible! – s'écria Vendale. – Impossible!

Wilding releva la tête et tressaillit. Tout l'alarmait depuis le matin.

– Quoi donc? – fit-il. – Qu'est-ce qui est impossible?

– C'est ce nom, – répliqua Vendale en souriant. – S'appelle-t-on Obenreizer, je vous le demande?.. Je continue…

Pour vous recommander d'une façon toute particulière M. Jules Obenreizer, Soho Square, Londres (côté Nord), amplement accrédité désormais comme notre agent et qui a eu l'honneur de faire connaissance avec M. Vendale, en Suisse, son pays natal.

– Lui! – fit Vendale qui s'interrompit encore une fois. – Monsieur Obenreizer?.. Eh! oui vraiment!.. Où donc avais-je la tête? Je me souviens à présent.

Il poursuivit:

Alors que M. Obenreizer voyageait avec sa nièce…

– Avec sa…? – dit Vendale. – La nièce d'Obenreizer! En effet, je les ai rencontrés lors de mon dernier voyage en Suisse, et j'ai voyagé quelque temps avec eux, puis je les ai quittés. Je les ai retrouvés encore deux ans après, à mon second voyage, je ne les ai jamais revus depuis. La nièce d'Obenreizer! Eh! oui, c'est possible après tout. Continuons:

M. Obenreizer possède toute notre confiance, et nous ne doutons pas un instant de l'estime que vous accorderez à son mérite.

– Et cela est dûment signé pour la maison: Defresnier et Cie. Bien… bien… je me charge de voir sous peu Monsieur Obenreizer et de savoir ce qu'il est. Eh bien! Wilding, voici qui écarte toute conjecture au sujet de ce timbre de Suisse. Maintenant, dites-moi de quel ennui je peux vous délivrer. Je le ferai sur mon âme.

Le cœur du bon, de l'honnête Wilding déborda de reconnaissance quand il vit qu'on voulait bien s'employer pour le servir. Il serra de nouveau la main de son associé et commença son récit par cette déclaration solennelle et pathétique qu'il n'était qu'un imposteur.

Puis, il raconta tout à Vendale.

– C'est sans doute au sujet de tout ce que vous venez de m'apprendre qu'au moment où je suis entré vous envoyiez chercher Bintrey? – dit Vendale après un court instant de réflexion.

– Ce n'était pas pour autre chose.

– Il a de l'expérience, – fit Vendale, – et c'est un homme plein de ruse. Je serai bien aise de connaître son opinion avant de vous donner la mienne. Mais, vous le savez, mon cher Wilding, je n'aime pas à dissimuler ma pensée. Je vous dirai donc tout d'abord et très simplement que je ne vois pas cette aventure au même œil que vous. Quant à dire un imposteur, vous, mon cher Wilding, cela est tout bonnement absurde. Comment peut-on être coupable d'une faute commise sans le savoir, et qu'est-ce qu'un imposteur qui n'a point consenti à l'imposture? Et quant à ce qui regarde votre fortune…

– Ma fortune? – répéta Wilding.

– Vous la devez à cette personne généreuse qui a cru que vous étiez son fils et qui vous a forcé de croire qu'elle était votre mère, puisqu'elle s'est fait connaître à vous sous ce nom. Êtes-vous sûr que le don de ses biens qu'elle vous a fait n'a pas pour cause le charme des rapports établis entre vous et qui ont fait la joie de ses derniers jours. Vous vous étiez, par degrés, attaché à elle, et certes, elle ne s'était pas moins fortement attachée à vous. C'est donc bien à vous, Walter, à vous, personnellement, qu'elle a conféré, en mourant, tous ces avantages que vous vous reprochez aujourd'hui sans raison d'avoir accepté.

– Point du tout, – s'écria Wilding. – Est ce qu'elle ne me supposait point sur son cœur un droit naturel que je n'avais pas?

– Ceci, – répliqua Vendale, – j'en conviens. J'y suis bien forcé pour être sincère. Mais, pensez-vous que si, durant les derniers six mois, qui ont précédé sa mort, elle avait fait la découverte que vous venez de faire vous-même, l'impression de tant d'années heureuses passées auprès de vous, la tendresse qu'elle vous avait vouée, eussent été tout à coup effacées?

– Ah! – dit Wilding, – ce que je pense ne changera point la vérité des choses. Il n'en est pas moins vrai que je suis en possession d'un bien qui ne m'appartient pas.

– Peut-être est-il mort, lui… – dit Vendale.

– Mais peut-être aussi est-il vivant? – s'écria Wilding. – Et s'il vit, ne l'ai-je pas innocemment, il est vrai, mais ne l'ai-je pas assez volé? Ne lui ai-je pas ravi d'abord tout l'heureux temps dont j'ai joui à sa place? Ne lui ai-je pas dérobé le bonheur exquis, ce ravissement céleste qui m'a rempli l'âme, quand cette chère femme m'a dit: «Je suis ta mère?» Ne lui ai-je pas pris tous les soins qu'elle m'a prodigués? Ne l'ai-je pas privé du doux plaisir de faire son devoir envers elle et de lui rendre son dévouement et sa tendresse?.. Ah! sous quels cieux, George Vendale, sous quels cieux vit-il à présent, celui envers qui je suis si coupable?.. Que peut-il être devenu?.. Où est celui que j'ai volé?..

– Qui le sait? – murmura George.

– Qui me le dira? Qui me donnera quelque moyen de diriger mes recherches? Savez-vous bien que ces recherches je dois les commencer sans perdre un jour. Désormais je vivrai des intérêts de ma part… je devrais dire de sa part… dans cette maison; le capital, je le placerai pour lui, il se peut, si je le retrouve, que je sois forcé de m'en remettre à sa générosité pour assurer mon avenir… mais je lui rendrai tout. Je ferai cela, je le ferai aussi vrai que je l'ai aimée, honorée, elle, de tout mon cœur, de toutes mes forces.

En même temps, il envoyait un baiser respectueux au portrait suspendu au-dessus de sa cheminée; puis il cacha sa tête dans ses mains et se tut.

Vendale se leva, vint s'asseoir auprès de lui, et lui mettant affectueusement la main sur l'épaule, lui dit doucement:

– Walter, je vous connaissais avant ce qui vous arrive, comme un parfait honnête homme, à la conscience pure et au cœur droit. C'est un grand bonheur et un grand profit pour moi de côtoyer de si près dans la vie un compagnon qui vous ressemble et j'en remercie Dieu. Souvenez-vous que je vous appartiens. Je suis votre main droite, et vous pouvez compter sur moi jusqu'à la mort. Ne me jugez pas mal si je vous confesse que le sentiment que tout ceci me fait éprouver est encore bien confus. Vous pouvez même ne le trouver ni délicat ni équitable. Mais je vous jure que je me sens bien plus ému pour cette pauvre femme trompée et surtout pour vous-même, à qui cette révélation inattendue vient arracher les joies du souvenir, que pour cet homme inconnu (si toutefois il est devenu un homme), privé, sans le savoir, des biens qu'il ignore… Toutefois vous avez bien fait d'envoyer quérir Monsieur Bintrey. Son opinion sera sans doute, en bien des points, semblable à la mienne. Walter, n'agissez pas avec trop de précipitation dans une affaire si sérieuse; gardons scrupuleusement ce secret entre nous. L'ébruiter à la légère serait vous exposer à des réclamations frauduleuses. Oh! les faux témoignages et les manœuvres des intrigants ne nous manqueraient point. Cela dit, Wilding, j'ai encore à vous rappeler une chose: c'est que lorsque vous m'avez cédé une part dans vos affaires, c'était pour vous affranchir d'une trop lourde besogne que votre présent état de santé ne vous permettait plus de remplir. Cette part, je l'ai achetée pour travailler, même à votre place, Walter, et c'est ce que je ferai.

Là-dessus, George Vendale donna lentement l'accolade à son associé, descendit dans le bureau, et, presque aussitôt après, sortit pour se rendre au logis de Jules Obenreizer.

Comme il entrait dans Soho Square, se dirigeant vers le côté nord de la place, son teint bruni au soleil se colora tout à coup. Cette rougeur soudaine, Wilding, – s'il était né observateur ou s'il n'avait pas alors été si fortement occupé de ses propres chagrins, – Wilding aurait pu la remarquer sur le visage de son associé, un moment auparavant, tandis que celui-ci lisait à haute voix la lettre datée de Neufchâtel. Wilding aurait pu également observer que Vendale ne lisait pas avec la même netteté tous les passages de cette lettre.

Il y avait alors à Soho Square, le district le plus plat de Londres, une curieuse colonie de montagnards. Des horloges de Suisse, des boîtes à musique, des sculptures sur bois, des jouets de Suisse s'étalaient à la porte de magasins Suisses. On ne voyait aux alentours que des Suisses professeurs d'harmonie, de peinture, et de langues, des commissionnaires Suisses, des domestiques Suisses placés ou sans places, des blanchisseuses Suisses. Partout des Suisses considérés et des Suisses déconsidérés, d'honnêtes Suisses, de la canaille Suisse; toute cette Suisse vivante était attirée là par la présence autour de Soho d'une foule de restaurants, de cafés et d'hôtels Suisses où l'on mangeait et buvait des boissons Suisses. Un temple Suisse s'élevait en ce lieu où l'on célébrait le Dimanche l'office Suisse, et des écoles où l'on envoyait dans la semaine des enfants de Suisses. L'élément Suisse débordait, envahissait tout; il n'était point jusqu'aux tavernes Anglaises qui n'affichassent à leurs portes des liqueurs Suisses. Et des querelles de Suisses qui valent bien les querelles d'Allemands, s'élevaient chaque soir à grand bruit dans ces cafés et ces restaurants Suisses.

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Sic.

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