Книга Pièces choisies - читать онлайн бесплатно, автор Valentin Krasnogorov. Cтраница 7
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Pièces choisies
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Pièces choisies

L’HOMME. Je suis prêt à payer, si vous m’aidez à la retrouver.

LE DOCTEUR. Je ne prends pas de pots-de-vin.

L’HOMME. Non !?

LE DOCTEUR. Je reçois des honoraires.

L’HOMME. Mais je suis prêt à vous verser des honoraires.

LE DOCTEUR. Je ne les perçois qu’en échange d’un traitement et non pas en échange de renseignements donnés. Je vous souhaite de réussir, et ne m’empêchez pas de travailler. Je ne reçois que sur rendez-vous. (Il entraîne poliment L’Homme vers la sortie de secours.) Je vous en prie. Non, pas par cette porte. Par celle-ci, n’entrent que mes malades.

L’HOMME. Bon, dans ce cas, je vous enverrai vraiment l’inspecteur des impôts. (Il regarde attentivement le Docteur.) Non, vous avez eu peur ?

LE DOCTEUR. Pas tellement.

L’HOMME. Vous devriez. Je suis sûr que vous n’aimez pas payer des impôts.

LE DOCTEUR. Moi je n’aime pas ?

L’HOMME. Vous.

LE DOCTEUR. Moi ?!

L’HOMME. Vous.

LE DOCTEUR. Et alors ? Et qui aime ça ?

L’HOMME. Et si nous organisions un petit contrôle ?

LE DOCTEUR. Faites, donc. Je sais bien cacher mes revenus.

L’HOMME. Et moi, je sais bien les retrouver.

LE DOCTEUR. Cessez de me menacer. Je vous l’ai dit, je ne crains pas les contrôles.

L’HOMME. Parce que vous ne prenez pas de pots-de-vin ?

LE DOCTEUR. Non. Parce que je les donne. Au plaisir de vous revoir.

L’HOMME. (Changeant de ton.) Docteur, vous le savez bien, l’affaire que j’ai en ce moment est strictement personnelle, elle n’a aucun rapport avec la médecine, ni avec le fisc. J’ai besoin d’Irène.

LE DOCTEUR. Au revoir. La porte de sortie est ici.

L’HOMME. (S’attardant au moment de sortir.) Docteur, pourquoi, tout de même, vient-elle vous voir ? Il y a quelque chose entre vous ?

LE DOCTEUR. Cela ne vous regarde en aucune façon.

L’HOMME. Serait-elle malade ?

LE DOCTEUR. Aucun détail concernant mes visiteurs, malades ou bien portants, ne franchit les limites de ce cabinet.

L’HOMME. (D’un ton sec, presque menaçant.) Parfait. Cependant, je sens qu’il y a un lien entre vous et je pense qu’il est de mon devoir de vous prévenir : soyez prudent.

LE DOCTEUR. Dans quel sens ?

LE DOCTEUR. Dans tous les sens. Elle s’est oubliée et elle-même ne comprend pas ce qu’elle fait. (Il se dirige vers la sortie.) Si, malgré tout, vous la voyez, dites-lui que j’essaierai de la voir à la maison, et si je ne l’y trouve pas, que je reviendrai ici.

LE DOCTEUR. Je ne pense pas que je vous laisserai entrer.

L’HOMME. Et moi, je ne pense pas que je vous en demanderai l’autorisation.

L’HOMME part. LE DOCTEUR se rassoit devant son ordinateur. IRÈNE revient.

IRÈNE. Vous n’en avez toujours pas assez de moi ?

LE DOCTEUR. Le taxi est déjà là ?

IRÈNE. Je ne l’ai pas appelé… J’ai décidé d’emmener Michel dans ma voiture. Elle est là, tout près, sur le parking. Surveillez-le deux minutes encore, d’accord ? (Après avoir bien regardé le Docteur.) Qu’y a-t-il encore ?

LE DOCTEUR. À l’instant… Eh bien… Il a de nouveau demandé après vous… Votre mari…

IRÈNE. Je vous l’ai déjà dit, je n’ai aucun mari ! À part Michel, bien sûr.

LE DOCTEUR. Je ne sais pas, je ne sais pas… Il m’a prévenu qu’il fallait que je sois prudent avec vous.

IRÈNE. Il n’a pas expliqué de quoi il retournait ?

LE DOCTEUR. Non, mais il a dit que c’était très important. Une question de vie et de mort.

IRÈNE. (Fortement troublée.) Je crois que je devine de qui il s’agit.

LE DOCTEUR. Il est vraiment votre mari ?

IRÈNE. Pas tout à fait.

LE DOCTEUR. Pas tout à fait ?

IRÈNE. Pas du tout. C’est mon collègue de travail… plus exactement, c’est même mon supérieur.

LE DOCTEUR. Vous dites la vérité ?

IRÈNE. Je vous jure.

LE DOCTEUR. Et de quelle affaire importante vous concernant parle-t-il ?

IRÈNE. Des bêtises. Simplement, il, comment vous dire… Il y a des gens, voyez-vous, qui… Il est continuellement à vouloir élucider quelque chose avec moi, à vouloir m’entretenir de quelque chose… Et c’est toujours, bien sûr, urgent. Du reste, voilà un patient idéal pour vous.

LE DOCTEUR. Je comprends.

IRÈNE. Bon, je vais chercher la voiture.

LE DOCTEUR. (La retenant.) Je n’ai pas envie de vous laisser partir.

IRÈNE. (Dégageant la main avec douceur.) Je reviens vite. Une minute, pas plus.

LE DOCTEUR. Et vous repartirez.

IRÈNE. (L’embrassant sur la joue.) Pour notre rendez-vous de ce soir.

IRÈNE sort. LE DOCTEUR arbore un sourire heureux. Il s’approche de la glace, s’examine sans concession, redresse la cravate, arrange sa coiffure, sort de l’armoire une autre veste aux couleurs plus vives et la met. Entre JEANNE, plus décidée encore que précédemment. LE DOCTEUR, qui s’était préparé à accueillir à bras ouverts sa visiteuse, est désagréablement surpris.

LE DOCTEUR. C’est vous ?

JEANNE. Pourquoi ? Qui attendiez-vous ?

LE DOCTEUR. Une autre femme. La femme de votre mari. Ou plutôt… Je voulais dire, la femme de Michel. Ou plutôt…

JEANNE. La femme de Michel, c’est moi.

LE DOCTEUR. J’ai un gros doute là-dessus, maintenant.

JEANNE. C’est la première fois que je rencontre un docteur qui, au lieu de s’occuper de soigner, mène une enquête. La carte médicale est-elle prête ?

LE DOCTEUR. Non. Et si elle l’était, je ne vous la donnerais pas. Qui êtes-vous, au juste ?

JEANNE. J’avais prévu que vous chercheriez n’importe quel prétexte pour vous défausser et j’ai préparé à cet effet un registre complet de documents en bonne et due forme. (Elle montre un dossier soigneusement constitué.) Voici ma carte d’identité. Voici le livret de famille prouvant mon mariage avec Michel. Voici les certificats de naissance de nos enfants, dans lesquels, d’ailleurs, sont enregistrés aussi les noms de leurs parents, autrement dit, le mien et celui de mon mari. Voici la photographie de mariage, voici également une photo du mariage mais avec les invités, et voici des photos où nous sommes avec les enfants. Voici des factures d’électricité ainsi que d’autres paiements à notre nom. Vous êtes convaincu maintenant ?

Stupéfait LE DOCTEUR rassemble les documents et les rend à JEANNE.

LE DOCTEUR. Je… Je… (Il va pour prendre les gouttes, mais repousse la fiole et se verse une bonne dose de cognac.) Finalement, vous êtes tout de même sa femme ?

JEANNE. Vous pensez peut-être que je suis sa grand-mère ?

LE DOCTEUR. Honnêtement, je ne sais pas quoi penser. (Il reprend le verre de cognac.)

JEANNE. (Sur un ton impérieux.) Reposez votre verre ! (D’un geste décidé elle écarte la bouteille.) Je commence à sérieusement m’inquiéter pour la santé de mon mari.

LE DOCTEUR. Pourquoi ?

JEANNE. Parce que son docteur est alcoolique.

LE DOCTEUR. Je ne bois pas du tout.

JEANNE. Je vois ça.

LE DOCTEUR. Vous êtes vraiment sa femme ?

JEANNE. Pourquoi cela vous étonne-t-il ?

LE DOCTEUR. Je ne m’étonnerais pas si… Si l’autre femme…

JEANNE. (Sur un ton cassant.) En ce qui concerne l’autre femme, c’est uniquement le résultat des vapeurs d’alcool ou le fruit de votre imagination détraquée. Je sais, en tant que juriste, que, suite au contact permanent avec les fous, les médecins psychiatres ont du mal à préserver leur santé mentale. Cette femme n’existe pas.

LE DOCTEUR. Elle existe !

JEANNE. (Implacable.) Elle n’a jamais existé et elle ne peut pas exister. Vous ne vous contrôlez pas. Votre mémoire vous joue des tours. Vous avez même oublié que vous soignez mon mari depuis près de deux ans. Vous avez perdu sa carte médicale. Il est possible que vous l’ayez effacée de la mémoire de l’ordinateur par négligence ou intentionnellement. Il ne nous reste plus qu’à la restaurer. Il vous sera très difficile d’expliquer au tribunal, pourquoi vous ne l’avez pas fait.

LE DOCTEUR. (Nerveux.) À quel tribunal ?

JEANNE. Le tribunal vers lequel je me tourne. J’ai l’intention de placer mon mari dans un centre de soins et pour cela j’ai besoin d’une carte médicale détaillée et convaincante.

LE DOCTEUR. Vous voulez enfermer votre mari dans un asile de fous ?

JEANNE. Modérez vos expressions. Si je voulais enfermer quelqu’un dans un asile de fous, eh bien, ce serait vous. Et croyez-moi, j’en ai les moyens. Regardez-vous dans une glace et vous serez d’accord avec moi.

LE DOCTEUR. Avouez, que vous ne supportez plus votre mari et que vous avez décidé de vous en débarrasser.

JEANNE. Premièrement, ce sont mes affaires. Et, deuxièmement, quand bien même ? Il a, peut-être, le droit d’oublier son obligation première, mais moi je ne suis pas tenue d’oublier le premier de mes droits. (Avec mépris.) Comprenez-vous, au moins, cela, docteur ?

LE DOCTEUR. « Obligation », « droit »… On voit d’emblée que vous êtes juriste.

JEANNE. Et que je suis une femme, ça ne se voit pas d’emblée ? Je me serais attendue à plus de compréhension de la part d’un médecin.

LE DOCTEUR. Qu’attendez-vous de moi ?

JEANNE. Un certificat et une carte médicale.

LE DOCTEUR. Bon, d’accord, revenez demain, elle sera prête.

JEANNE. Demain, vous aurez trouvé d’autres excuses. J’en ai besoin aujourd’hui. Maintenant.

LE DOCTEUR. Maintenant, j’ai une consultation à la clinique. Je dois partir.

JEANNE. Ça sera long ?

LE DOCTEUR. Une vingtaine de minutes.

JEANNE. J’attendrai.

LE DOCTEUR. De toute façon, aujourd’hui je n’aurai pas le temps. Une carte médicale ne se fait pas aussi vite que vous semblez le penser. Je vous en prie, revenez demain.

JEANNE. Non, je ne partirai pas d’ici, tant que je ne l’aurai pas. (Elle s’assoit avec une attitude de défi, prend le guide médical et se plonge dans la lecture, montrant de tout son être qu’elle a l’intention de rester longtemps et qu’on ne réussira pas à la mettre dehors.)

LE DOCTEUR. (Ayant perdu tout espoir.) Mais il faut vraiment que je passe à la clinique.

JEANNE. Allez-y, je ne vous retiens pas.

LE DOCTEUR. Et vous ?

JEANNE. Et moi, je vais faire rentrer Michel ici et nous resterons ensemble ici, tant que nous n’aurons pas la carte médicale.

LE DOCTEUR. Bon, eh bien… C’est comme vous voulez.

LE DOCTEUR se verse du cognac, puis, après réflexion, prend la fiole des gouttes, puis se tourne à nouveau vers le cognac et, finalement, trouve un compromis : il verse quelques gouttes dans le cognac, boit et sort, portant sa main tantôt à la tête, tantôt au cœur. JEANNE, l’ayant suivi d’un regard de satisfaction, sort aussi et revient avec MICHEL.

JEANNE. Reste là et n’en bouge pas. Moi, je vais t’acheter un sandwich. Compris ? Ne bouge pas.

JEANNE part. Un peu après, entre le DOCTEUR.

MICHEL. Vous avez rendez-vous ?

LE DOCTEUR. Moi ? Non.

MICHEL. (L’esprit ailleurs.) Le docteur est absent. Patientez dans la salle d’attente.

LE DOCTEUR. Mais, c’est moi, le docteur !

MICHEL. Depuis quand êtes-vous docteur ?

LE DOCTEUR. Je l’ai toujours été, et je le serai tant que je ne deviendrai pas fou, ce qui, grâce à vous, ne saurait tarder. Et maintenant, sortez et ne m’empêchez pas de travailler. Je dois écrire… (Il s’arrête.) Zut, qu’est-ce que je dois écrire ?

MICHEL. Ma carte médicale.

LE DOCTEUR. Ah ! oui. Comment le savez-vous ?

MICHEL. Je ne sais pas.

LE DOCTEUR. Bon, soit, allez dans la salle d’attente et n’en bougez pas.

MICHEL marche vers la sortie, mais s’arrête.

MICHEL. (Timidement.) Docteur…

LE DOCTEUR. (Se prenant la tête entre les mains.) Quoi encore ?!

MICHEL. Savez-vous, quel est en vérité mon principal problème ?

LE DOCTEUR. Le manque de mémoire.

MICHEL. Non. Le manque d’argent.

LE DOCTEUR. C’est le problème numéro un de tout le monde.

MICHEL. De moi, surtout. (Soudainement.) Prêtez-moi de l’argent.

LE DOCTEUR. Je vous en prêterais bien, mais vous oublierez de le rendre.

MICHEL. Non. Je vous ferai un reçu. Au pire, c’est ma femme qui vous rendra l’argent.

LE DOCTEUR. Laquelle des deux ?

MICHEL. (En confidence.) Mettez-vous à ma place.

LE DOCTEUR. Je m’y mettrais volontiers, mais je ne sais pas comment l’appréhender.

MICHEL. N’y a-t-il pas, voyons, des situations où un homme a deux femmes ?

LE DOCTEUR. (Très intéressé.) Vous en avez deux ?

MICHEL. Une, je crois.

LE DOCTEUR. Et qui au juste ?

MICHEL. (Après avoir marqué un temps d’hésitation.) Je ne sais pas.

LE DOCTEUR. Je ne comprends rien.

MICHEL. Moi non plus. Docteur, j’ai un besoin urgent d’argent. C’est une question de vie et de mort. Faites-moi un prêt. Je vous le rends aujourd’hui.

LE DOCTEUR. Combien vous faut-il ?

MICHEL. Au bas mot, mille Euros.

LE DOCTEUR. « Au bas mot » ?

MICHEL. Si mille euros sont un problème pour vous, j’accepte deux mille.

LE DOCTEUR. Rien que pour me débarrasser de vous, j’irais même jusqu’à trois mille.

MICHEL. (Réjoui.) Alors, quatre mille.

LE DOCTEUR. Quatre mille, non. Et trois, non plus. Mais mille, oui. À la condition que je ne vous revoie plus ici.

MICHEL. Ça marche.

Le DOCTEUR prend des billets, MICHEL, heureux, les lui arrache et se hâte de partir. LE DOCTEUR retourne à son ordinateur. Son travail n’aboutit à rien. Entre IRÈNE.

IRÈNE. (Inquiète.) Où est Michel ?

LE DOCTEUR. Quelque part par là. J’ai parlé avec lui à l’instant.

IRÈNE. Vous avez une mine plutôt triste. Il est arrivé quelque chose ?

LE DOCTEUR. Je suis dans une situation diablement inconfortable.

IRÈNE. Racontez-moi tout. Je pourrai, peut-être, vous aider.

LE DOCTEUR. Non, vous ne pourrez pas. On me demande une carte médicale, mais on pourrait me couper les mains que je ne me souviendrais pas de l’avoir écrite.

IRÈNE. Eh bien, faites-en une autre, où est le problème ? Vous n’allez pas vous laisser démonter par ça ?

LE DOCTEUR. Mais faire comme si la carte médicale remontait à il y a deux ans est impossible. Car l’ordinateur fixe automatiquement la date de création du fichier. Du reste, je doute que vous y compreniez quelque chose.

IRÈNE. C’est là tout votre problème ?

LE DOCTEUR. Sur un plan technique, oui. Et je ne parle pas, ça va de soi, des remords de conscience et de l’intégrité professionnelle. Qui cela intéresse-t-il de nos jours ?

IRÈNE. Il me semble, que je peux quand même vous aider.

LE DOCTEUR. Comment ?

IRÈNE. Ne vous ai-je pas dit que j’étais programmeuse ?

LE DOCTEUR. Vous ?!

IRÈNE. Et votre problème technique, d’un point de vue de programmeur, est tout bonnement dérisoire. Asseyez-vous à côté de moi.

IRÈNE et le DOCTEUR s’assoient côte à côte devant l’ordinateur. Les doigts d’IRÈNE courent sur le clavier.

Tenez, regardez… Nous ouvrons le fichier avec la fiche médicale de Michel… L’ordinateur indique qu’il a été créé aujourd’hui. Est-ce vrai ?

IRÈNE. Oui.

IRÈNE. Et à présent, une petite correction… (Elle tape sur les touches.) Maintenant, regardez, quand le fichier a-t-il été créé ?

LE DOCTEUR. (Il regarde l’écran.) Il y a deux ans. Mais c’est incroyable ! Comment avez-vous fait ça ?

IRÈNE. (Avec une légère pointe d’ironie, elle cite le Docteur.) Du savoir et du travail.

LE DOCTEUR. Je ne sais pas comment vous remercier !

IRÈNE. Pas besoin de me remercier. Au contraire ! (Après un temps d’hésitation.) Je veux vous dire quelque chose de très important… (Elle se tait.)

LE DOCTEUR. Voyons, pourquoi restez-vous silencieuse ?

IRÈNE. J’ai du mal à me décider. Mais je vais quand même parler.

Entre L’HOMME. IRÈNE se tait. Elle est très troublée.

L’HOMME. (À Irène.) Enfin, je vous ai trouvée.

IRÈNE. Vous m’avez filée.

L’HOMME. Oui, je vous ai filée. (Au Docteur. Sur un ton assez cassant.) Laissez-nous tous les deux, s’il vous plaît.

LE DOCTEUR interroge IRÈNE du regard. Elle acquiesce de la tête. LE DOCTEUR sort. L’HOMME tarde à reprendre la parole, ne sachant pas comment démarrer une conversation qui s’annonce pénible.

Pourquoi m’avez-vous caché que vous étiez mariée.

IRÈNE. Je n’ai rien caché.

L’HOMME. Mais vous n’y avez jamais fait allusion.

IRÈNE. Vous pensez qu’une femme doit déclarer dans les journaux, à la radio et à la télévision qu’elle est mariée ? Ou, au contraire, qu’elle ne l’est pas ?

IRÈNE. Vous êtes une femme dangereuse.

IRÈNE. Merci pour le compliment. Vous êtes venu pour tirer au clair nos relations personnelles ?

L’HOMME. Non. Le thème que nous allons aborder est autrement plus sérieux.

IRÈNE. Eh bien, parlez.

L’HOMME. Vous avez soutiré à la banque une somme, vous savez laquelle. L’argent, il est vrai, n’a pas été transféré sur votre compte, mais vous savez parfaitement ce qui vous attend.

IRÈNE. La prison.

L’HOMME. Tout à fait. Vous étiez considérée comme une employée modèle. Pour vous dire la vérité, à cette heure encore je suis admiratif de l’art avec lequel vous avez mis sur pied cette combinaison. Deux ans durant, la banque est restée sans remarquer qu’une petite ligne superflue du programme informatique conduisait à une fuite d’argent.

IRÈNE. Encore faudra-t-il prouver, que c’est moi qui ai ajouté cette ligne.

L’HOMME. Les experts s’en chargeront.

LA FEMME. Reste à savoir qui a le plus d’expérience, de vos experts ou de moi ? Qu’attendez-vous de moi ?

L’HOMME. Rendez l’argent et la banque ne vous assigne pas en justice.

IRÈNE. Que me vaut cette bienveillance ? Est-ce parce que je ne vous suis pas tout à fait indifférente ?

L’HOMME. Vous ne m’êtes pas pas du tout indifférente, mais dans le cas présent mes considérations sont d’ordre purement commercial. Il n’est pas du tout dans l’intérêt de la banque, que le public sache que nos collaborateurs volent l’argent des déposants. Nous perdrions alors des milliers de clients et des centaines de millions d’euros. C’est pourquoi notre intérêt est d’étouffer l’affaire.

IRÈNE. Quand faut-il rendre l’argent ?

L’HOMME. Aujourd’hui. Dans le cas contraire, vous serez arrêtée demain.

IRÈNE. Aujourd’hui, ce n’est pas possible. Du reste, demain, non plus. Pas plus qu’après-demain.

L’HOMME. Pourquoi ?

IRÈNE. Parce que je n’ai pas d’argent. Et que je n’en aurai pas.

L’HOMME. Bien. J’ai dit, ce que j’avais à dire. Veuillez réfléchir. Il vous reste peu de temps. (Il se lève, va vers la sortie, s’arrête. Son ton change.) Irène, vous savez ce que j’éprouve pour vous.

IRÈNE. Je sais.

L’HOMME. Pourquoi avez-vous fait cela ?

IRÈNE. Parce que… parce que je l’ai fait.

L’HOMME. Mais, tout de même, où est l’argent ?

IRÈNE. Ce n’est pas pour moi que je l’ai pris.

L’HOMME. Je m’en doutais. Alors, que cette personne soit coffrée ! En définitive, c’est lui qui a empoché l’argent, et vous, formellement, vous n’êtes pas coupable. On peut expliquer cette ligne du programme par une erreur technique. Qu’est-ce que vous en dites ?

IRÈNE. (Après un moment de silence.) Donnez-moi un peu de temps pour réfléchir.

L’HOMME sort. Entre LE DOCTEUR.

LE DOCTEUR. Qui est cet homme ?

IRÈNE. Le vice-président de la banque.

LE DOCTEUR. Que vous voulait-il ?

IRÈNE. C’est sans importance. Docteur, je dois vous faire un aveu.

LE DOCTEUR. (Essayant de plaisanter.) D’un amour, j’espère ?

IRÈNE. Non, simplement un aveu. (Elle se tait.)

LE DOCTEUR. Vous vouliez, déjà auparavant, me dire quelque chose de très important, mais l’arrivée de cette personne vous en a empêchée.

IRÈNE. Oui.

LE DOCTEUR. Mais avouez donc, enfin !

IRÈNE. Vous allez me mépriser.

LE DOCTEUR. Ne dites pas de bêtises. (Et, comme Irène se tait, il continue.) Si vous ne vous décidez pas à avouer, alors permettez que je le fasse. Vous êtes la femme que je rêvais de rencontrer depuis longtemps. Si vous n’aviez pas été mariée, je vous aurais fait une proposition. Seulement, ne riez pas de moi.

IRÈNE. J’ai envie de pleurer, pas de rire.

LE DOCTEUR. Réfléchissez : si on ne réussit pas à guérir votre mari, il vous faudra de toute façon vous séparer de lui. Et alors, je m’occuperai de lui et de vous. Je suis bien pourvu et je ferai ce qu’il faut pour vous rendre heureuse. Et, c’est le plus important, j’ai un penchant pour vous.

IRÈNE. C’est effectivement le plus important.

LE DOCTEUR. À présent, dites-moi, ce que vous vouliez me dire.

IRÈNE. Justement, il m’est à présent encore plus difficile de m’y résoudre. Le fait est que…

Entre JEANNE. Ne s’attendant pas à voir IRÈNE en compagnie du DOCTEUR, elle s’arrête médusée.

IRÈNE. Pourquoi restes-tu plantée ? Viens t’asseoir.

LE DOCTEUR. (Étonné.) Vous vous connaissez ?!

IRÈNE. Comme vous le voyez.

LE DOCTEUR. Je ne comprends rien.

IRÈNE. Nous n’allons pas tarder à vous expliquer. Laissez-nous seulement discuter seule à seule, d’abord. Je vous appellerai.

Pause. LE DOCTEUR sort.

Le pot aux roses est découvert. La banque exige le remboursement.

JEANNE. (Elle est abasourdie.) Déjà ?

IRÈNE. Ça devait arriver un jour ou l’autre.

JEANNE. Oui, mais c’est quand même tellement inattendu. Et tellement terrible. (Se ressaisissant.). Il nous faut, sans perdre de temps, mener jusqu’au bout notre manigance contre le docteur.

IRÈNE. Je ne veux pas.

JEANNE. Pourquoi ?

IRÈNE. Réfléchis toi-même aux rôles peu envieux que nous jouons. Pourras-tu, après cela, te respecter ?

JEANNE. Mieux vaut ne pas se respecter à l’air libre, que se respecter dans sa geôle.

IRÈNE. Ce que nous faisons n’est pas bien.

JEANNE. Nous ne faisons que nous battre pour nous.

IRÈNE. Tout en brisant le docteur.

JEANNE. Je ne comprends pas, tu t’es amourachée de lui, ou quoi ?

IRÈNE. Et si c’est le cas, tu dis quoi ?

JEANNE. Je dis qu’il y a un âge où les femmes ne tombent plus amoureuses.

IRÈNE. Cet âge-là n’existe pas pour les femmes.

JEANNE. Reste raisonnable. De toute façon, il n’y a pas d’autre issue.

IRÈNE. Il y a une issue : tout avouer.

JEANNE. Et mettre en l’air toute notre vie.

IRÈNE. Ne t’inquiète pas, je prends tout sur moi.

JEANNE. Tu crois que c’est de l’héroïsme, mais c’est une connerie.

IRÈNE. C’est un calcul. (Avec douceur.) Réfléchis toi-même. Si nous menons à bien notre plan, alors, le plus probable, c’est que nous serons pris tous les quatre : nous trois, pour escroquerie et le docteur pour une fausse carte médicale. Mais en cas d’aveu, je suis seule à faire de la prison et vous restez en liberté. De plus, vous avez des enfants, alors que moi je suis seule. Et je ne parle pas de la conscience nette.

JEANNE. (Après avoir longuement pesé le pour et le contre.) Tu as sûrement raison. (Elle pleure.) Mais quelle ordure je suis : c’est ensemble que nous avons fait des conneries et c’est toi seule qui devras payer. Pardonne-moi. (Elle enlace Irène.)

Les deux femmes sanglotent sur l’épaule l’une de l’autre.

IRÈNE. Alors ? On fait venir le docteur ?

JEANNE. Fais-le venir, si tu veux.

IRÈNE. (Elle s’approche de la porte et fait venir le docteur.) Vous pouvez entrer.

LE DOCTEUR revient dans son cabinet. Les deux femmes essuient leurs larmes.

Eh bien, vous ne comprenez toujours rien ?

LE DOCTEUR. Absolument rien.

IRÈNE. Nous allons tout vous expliquer. Le fait est que… (À Jeanne.) Je préfère que tu racontes.

JEANNE. Bien. (Au docteur.) D’abord, buvez vos gouttes. Et asseyez-vous.

LE DOCTEUR s’exécute docilement.

Commençons à faire les présentations. Moi je suis la femme de Michel, il est mon mari. Marina est sa sœur et il est son frère. Vous saisissez ?

LE DOCTEUR. (Tout déconcerté.) « Il est mon mari, Marina est sa sœur… » (Radieux.) Mais c’est merveilleux ! Voilà qui change complètement la donne ! Nous allons le guérir, et alors…

JEANNE. Patientez. Il n’a absolument pas besoin de soins car plus sain que lui tu meurs.