Книга Germinal / Жерминаль. Книга для чтения на французском языке - читать онлайн бесплатно, автор Эмиль Золя. Cтраница 3
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Germinal / Жерминаль. Книга для чтения на французском языке
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Germinal / Жерминаль. Книга для чтения на французском языке

Étienne, dans le bâtiment aux chaudières, causait en effet avec le chauffeur, qui chargeait les foyers de charbon. Il éprouvait un grand froid, à l’idée de la nuit où il lui fallait rentrer. Pourtant, il se décidait à partir, lorsqu’il sentit une main se poser sur son épaule.

– Venez, dit Catherine, il y a quelque chose pour vous.

D’abord, il ne comprit pas. Puis, il eut un élan de joie, il serra énergiquement les mains de la jeune fille.

– Merci, camarade… Ah! vous êtes un bon bougre, par exemple!

Elle se mit à rire, en le regardant dans la rouge lueur des foyers, qui les éclairaient. Cela l’amusait, qu’il la prît pour un garçon, fluette encore, son chignon caché sous le béguin. Lui, riait aussi de contentement; et ils restèrent un instant tous deux à se rire à la face, les joues allumées.

Maheu, dans la baraque, accroupi devant sa caisse, retirait ses sabots et ses gros bas de laine. Lorsque Étienne fut là, on régla tout en quatre paroles: trente sous par jour, un travail fatigant, mais qu’il apprendrait vite. Le haveur lui conseilla de garder ses souliers, et il lui prêta une vieille barrette, un chapeau de cuir destiné à garantir le crâne, précaution que le père et les enfants dédaignaient. Les outils furent sortis de la caisse, où se trouvait justement la pelle de Fleurance. Puis, quand Maheu y eut enfermé leurs sabots, leurs bas, ainsi que le paquet d’Étienne, il s’impatienta brusquement.

– Que fait-il donc, cette rosse de Chaval? Encore quelque fille culbutée sur un tas de pierres!.. Nous sommes en retard d’une demi-heure, aujourd’hui.

Zacharie et Levaque se rôtissaient tranquillement les épaules. Le premier finit par dire:

– C’est Chaval que tu attends?… Il est arrivé avant nous, il est descendu tout de suite.

– Comment! tu sais ça et tu ne m’en dis rien!.. Allons! allons! dépêchons.

Catherine, qui chauffait ses mains, dut suivre la bande. Étienne la laissa passer, monta derrière elle. De nouveau, il voyageait dans un dédale d’escaliers et de couloirs obscurs, où les pieds nus faisaient un bruit mou de vieux chaussons. Mais la lampisterie flamboya, une pièce vitrée, emplie de râteliers qui alignaient par étages des centaines de lampes Davy, visitées, lavées de la veille, allumées comme des cierges au fond d’une chapelle ardente. Au guichet, chaque ouvrier prenait la sienne, poinçonnée à son chiffre; puis, il l’examinait, la fermait lui-même; pendant que le marqueur, assis à une table, inscrivait sur le registre l’heure de la descente.

Il fallut que Maheu intervînt pour la lampe de son nouveau herscheur. Et il y avait encore une précaution, les ouvriers défilaient devant un vérificateur, qui s’assurait si toutes les lampes étaient bien fermées.

– Fichtre! il ne fait pas chaud ici, murmura Catherine grelottante.

Étienne se contenta de hocher la tête. Il se retrouvait devant le puits, au milieu de la vaste salle, balayée de courants d’air. Certes, il se croyait brave, et pourtant une émotion désagréable le serrait à la gorge, dans le tonnerre des berlines, les coups sourds des signaux, le beuglement étouffé du porte-voix, en face du vol continu de ces câbles, déroulés et enroulés à toute vapeur par les bobines de la machine. Les cages montaient, descendaient avec leur glissement de bête de nuit, engouffraient toujours des hommes, que la gueule du trou semblait boire. C’était son tour maintenant, il avait très froid, il gardait un silence nerveux, qui faisait ricaner Zacharie et Levaque; car tous deux désapprouvaient l’embauchage de cet inconnu, Levaque surtout, blessé de n’avoir pas été consulté. Aussi Catherine fut-elle heureuse d’entendre son père expliquer les choses au jeune homme.

– Regardez, au-dessus de la cage, il y a un parachute, des crampons de fer qui s’enfoncent dans les guides, en cas de rupture. Ca fonctionne, oh! pas toujours… Oui, le puits est divisé en trois compartiments, fermés par des planches, du haut en bas: au milieu les cages, à gauche le goyot des échelles…

Mais il s’interrompit pour gronder, sans se permettre de trop hausser la voix:

– Qu’est-ce que nous fichons là, nom de Dieu! Est-il permis de nous faire geler de la sorte!

Le porion Richomme, qui allait descendre lui aussi, sa lampe à feu libre fixée par un clou dans le cuir de sa barrette, l’entendit se plaindre.

– Méfie-toi, gare aux oreilles! murmura-t-il paternellement, en vieux mineur resté bon pour les camarades. Faut bien que les manoeuvres se fassent… Tiens! nous y sommes, embarque avec ton monde.

La cage, en effet, garnie de bandes de tôle et d’un grillage à petites mailles, les attendait, d’aplomb sur les verrous. Maheu, Zacharie, Levaque, Catherine se glissèrent dans une berline du fond; et, comme ils devaient y tenir cinq, Étienne y entra à son tour; mais les bonnes places étaient prises, il lui fallut se tasser près de la jeune fille, dont un coude lui labourait le ventre. Sa lampe l’embarrassait, on lui conseilla de l’accrocher à une boutonnière de sa veste. Il n’entendit pas, la garda maladroitement à la main. L’embarquement continuait, dessus et dessous, un enfournement confus de bétail. On ne pouvait donc partir, que se passait-il? Il lui semblait s’impatienter depuis de longues minutes. Enfin, une secousse l’ébranla, et tout sombra; les objets autour de lui s’envolèrent, tandis qu’il éprouvait un vertige anxieux de chute, qui lui tirait les entrailles. Cela dura tant qu’il fut au jour, franchissant les deux étages des recettes, au milieu de la fuite tournoyante des charpentes. Puis, tombé dans le noir de la fosse, il resta étourdi, n’ayant plus la perception nette de ses sensations.

– Nous voilà partis, dit paisiblement Maheu.

Tous étaient à l’aise. Lui, par moments, se demandait s’il descendait ou s’il montait. Il y avait comme des immobilités, quand la cage filait droit, sans toucher aux guides; et de brusques trépidations se produisaient ensuite, une sorte de dansement dans les madriers, qui lui donnait la peur d’une catastrophe. Du reste, il ne pouvait distinguer les parois du puits, derrière le grillage où il collait sa face. Les lampes éclairaient mal le tassement des corps, à ses pieds. Seule, la lampe à feu libre du porion, dans la berline voisine, brillait comme un phare.

– Celui-ci a quatre mètres de diamètre, continuait Maheu, pour l’instruire. Le cuvelage aurait bon besoin d’être refait, car l’eau filtre de tous côtés… Tenez! nous arrivons au niveau, entendez-vous?

Étienne se demandait justement quel était ce bruit d’averse. Quelques grosses gouttes avaient d’abord sonné sur le toit de la cage, comme au début d’une ondée; et, maintenant, la pluie augmentait, ruisselait, se changeait en un véritable déluge. Sans doute, la toiture était trouée, car un filet d’eau, coulant sur son épaule, le trempaitjusqu’à la chair. Le froid devenait glacial, on enfonçait dans une humidité noire, lorsqu’on traversa un rapide éblouissement, la vision d’une caverne où des hommes s’agitaient, à la lueur d’un éclair. Déjà, on retombait au néant.

Maheu disait:

– C’est le premier accrochage. Nous sommes à trois cent vingt mètres. Regardez la vitesse.

Levant sa lampe, il éclaira un madrier des guides, qui filait ainsi qu’un rail sous un train lancé à toute vapeur; et, au-delà, on ne voyait toujours rien. Trois autres accrochages passèrent, dans un envolement de clartés. La pluie assourdissante battait les ténèbres.

– Comme c’est profond! murmura Étienne.

Cette chute devait durer depuis des heures. Il souffrait de la fausse position qu’il avait prise, n’osant bouger, torturé surtout par le coude de Catherine. Elle ne prononçait pas un mot, il la sentait seulement contre lui, qui le réchauffait. Lorsque la cage, enfin, s’arrêta au fond, à cinq cent cinquante-quatre mètres, il s’étonna d’apprendre que la descente avait duré juste une minute. Mais le bruit des verrous qui se fixaient, la sensation sous lui de cette solidité, l’égaya brusquement; et ce fut en plaisantant qu’il tutoya Catherine.

– Qu’as-tu sous la peau, à être chaud comme ça?… J’ai ton coude dans le ventre, bien sûr.

Alors, elle éclata aussi. Etait-il bête, de la prendre encore pour un garçon! Il avait donc les yeux bouchés?

– C’est dans l’oeil que tu l’as, mon coude, répondit-elle, au milieu d’une tempête de rires, que le jeune homme, surpris, ne s’expliqua point.

La cage se vidait, les ouvriers traversèrent la salle de l’accrochage, une salle taillée dans le roc, voûtée en maçonnerie, et que trois grosses lampes à feu libre éclairaient. Sur les dalles de fonte, les chargeurs roulaient violemment des berlines pleines. Une odeur de cave suintait des murs, une fraîcheur salpêtrée où passaient des souffles chauds, venus de l’écurie voisine. Quatre galeries s’ouvraient là, béantes.

– Par ici, dit Maheu à Étienne. Vous n’y êtes pas, nous avons à faire deux bons kilomètres.

Les ouvriers se séparaient, se perdaient par groupes, au fond de ces trous noirs. Une quinzaine venaient de s’engager dans celui de gauche; et Étienne marchait le dernier, derrière Maheu, que précédaient Catherine, Zacharie et Levaque. C’était une belle galerie de roulage, à travers banc, et d’un roc si solide, qu’elle avait eu besoin seulement d’être muraillée en partie. Un par un, ils allaient, ils allaient toujours, sans une parole, avec les petites flammes des lampes. Le jeune homme butait à chaque pas, s’embarrassait les pieds dans les rails. Depuis un instant, un bruit sourd l’inquiétait, le bruit lointain d’un orage dont la violence semblait croître et venir des entrailles de la terre. Etait-ce le tonnerre d’un éboulement, écrasant sur leurs têtes la masse énorme qui les séparait du jour? Une clarté perça la nuit, il sentit trembler le roc; et, lorsqu’il se fut rangé le long du mur, comme les camarades, il vit passer contre sa face un gros cheval blanc, attelé à un train de berlines. Sur la première, tenant les guides, Bébert était assis; tandis que Jeanlin, les poings appuyés au bord de la dernière, courait pieds nus.

On se remit en marche. Plus loin, un carrefour se présenta, deux nouvelles galeries s’ouvraient, et la bande s’y divisa encore, les ouvriers se répartissaient peu à peu dans tous les chantiers de la mine. Maintenant, la galerie de roulage était boisée, des étais de chêne soutenaient le toit, faisaient à la roche ébouleuse une chemise de charpente, derrière laquelle on apercevait les lames des schistes, étincelants de mica, et la masse grossière des grès, ternes et rugueux. Des trains de berlines pleines ou vides passaient continuellement, se croisaient, avec leur tonnerre emporté dans l’ombre par des bêtes vagues, au trot de fantôme. Sur la double voie d’un garage, un long serpent noir dormait, un train arrêté, dont le cheval s’ébroua, si noyé de nuit, que sa croupe confuse était comme un bloc tombé de la voûte. Des portes d’aérage battaient, se refermaient lentement. Et, à mesure qu’on avançait, la galerie devenait plus étroite, plus basse, inégale de toit, forçant les échines à se plier sans cesse.

Étienne, rudement, se heurta la tête. Sans la barrette de cuir, il avait le crâne fendu. Pourtant, il suivait avec attention, devant lui, les moindres gestes de Maheu, dont la silhouette sombre se détachait sur la lueur des lampes. Pas un des ouvriers ne se cognait, ils devaient connaître chaque bosse, noeud des bois ou renflement de la roche. Le jeune homme souffrait aussi du sol glissant, qui se trempait de plus en plus. Par moments, il traversait de véritables mares, que le gâchis boueux des pieds révélait seul. Mais ce qui l’étonnait surtout, c’étaient les brusques changements de température. En bas du puits, il faisait très frais, et dans la galerie de roulage, par où passait tout l’air de la mine, soufflait un vent glacé, dont la violence tournait à la tempête, entre les muraillements étroits. Ensuite, à mesure qu’on s’enfonçait dans les autres voies, qui recevaient seulement leur part disputée d’aérage, le vent tombait, la chaleur croissait, une chaleur suffocante, d’une pesanteur de plomb.

Maheu n’avait plus ouvert la bouche. Il prit à droite une nouvelle galerie, en disant simplement à Étienne, sans se tourner:

– La veine Guillaume.

C’était la veine où se trouvait leur taille. Dès les premières enjambées, Étienne se meurtrit de la tête et des coudes. Le toit en pente descendait si bas que, sur des longueurs de vingt et trente mètres, il devait marcher cassé en deux. L’eau arrivait aux chevilles. On fit ainsi deux cents mètres; et, tout d’un coup, il vit disparaître Levaque, Zacharie et Catherine, qui semblaient s’être envolés par une fissure mince, ouverte devant lui.

– Il faut monter, reprit Maheu. Pendez votre lampe à une boutonnière, et accrochez-vous aux bois.

Lui-même disparut. Étienne dut le suivre. Cette cheminée, laissée dans la veine, était réservée aux mineurs et desservait toutes les voies secondaires. Elle avait l’épaisseur de la couche de charbon, à peine soixante centimètres. Heureusement, le jeune homme était mince, car, maladroit encore, il s’y hissait avec une dépense inutile de muscles, aplatissant les épaules et les hanches, avançant à la force des poignets, cramponné aux bois. Quinze mètres plus haut, on rencontra la première voie secondaire; mais il fallut continuer, la taille de Maheu et consorts[5] était la sixième voie, dans l’enfer, ainsi qu’ils disaient; et, de quinze mètres en quinze mètres, les voies se superposaient, la montée n’en finissait plus, à travers cette fente qui raclait le dos et la poitrine. Étienne râlait, comme si le poids des roches lui eût broyé les membres, les mains arrachées, les jambes meurtries, manquant d’air surtout, au point de sentir le sang lui crever la peau. Vaguement, dans une voie, il aperçut deux bêtes accroupies, une petite, une grosse, qui poussaient des berlines: c’étaient Lydie et la Mouquette, déjà au travail. Et il lui restait à grimper la hauteur de deux tailles! La sueur l’aveuglait, il désespérait de rattraper les autres, dont il entendait les membres agiles frôler le roc d’un long glissement.

– Courage, ça y est! dit la voix de Catherine.

Mais, comme il arrivait en effet, une autre voix cria du fond de la taille:

– Eh bien! quoi donc? est-ce qu’on se fout du monde…? J’ai deux kilomètres à faire de Montsou, et je suis là le premier!

C’était Chaval, un grand maigre de vingt-cinq ans, osseux, les traits forts, qui se fâchait d’avoir attendu. Lorsqu’il aperçut Étienne, il demanda, avec une surprise de mépris:

– Qu’est-ce que c’est que ça?

Et, Maheu lui ayant conté l’histoire, il ajouta entre les dents:

– Alors, les garçons mangent le pain des filles!

Les deux hommes échangèrent un regard, allumé d’une de ces haines d’instinct qui flambent subitement. Étienne avait senti l’injure, sans comprendre encore. Un silence régna, tous se mettaient au travail. C’étaient enfin les veines peu à peu emplies, les tailles en activité, à chaque étage, au bout de chaque voie. Le puits dévorateur avait avalé sa ration quotidienne d’hommes, près de sept cents ouvriers, qui besognaient à cette heure dans cette fourmilière géante, trouant la terre de toutes parts, la criblant ainsi qu’un vieux bois piqué des vers. Et, au milieu du silence lourd, de l’écrasement des couches profondes, on aurait pu, l’oreille collée à la roche, entendre le branle de ces insectes humains en marche, depuis le vol du câble qui montait et descendait la cage d’extraction, jusqu’à la morsure des outils entamant la houille, au fond des chantiers d’abattage.

Étienne, en se tournant, se trouva de nouveau serré contre Catherine. Mais, cette fois, il devina les rondeurs naissantes de la gorge, il comprit tout d’un coup cette tiédeur qui l’avait pénétré.

– Tu es donc une fille? murmura-t-il, stupéfait.

Elle répondit de son air gai, sans rougeur:

– Mais oui… Vrai! tu y as mis le temps!

IV

Les quatre haveurs venaient de s’allonger les uns au-dessus des autres, sur toute la montée du front de taille. Séparés par les planches à crochets qui retenaient le charbon abattu, ils occupaient chacun quatre mètres environ de la veine; et cette veine était si mince, épaisse à peine en cet endroit de cinquante centimètres, qu’ils se trouvaient là comme aplatis entre le toit et le mur, se traînant des genoux et des coudes, ne pouvant se retourner sans se meurtrir les épaules. Ils devaient, pour attaquer la houille, rester couchés sur le flanc, le cou tordu, les bras levés et brandissant de biais la rivelaine, le pic à manche court.

En bas, il y avait d’abord Zacharie; Levaque et Chaval s’étageaient au-dessus; et, tout en haut enfin, était Maheu. Chacun havait le lit de schiste, qu’il creusait à coups de rivelaine; puis, il pratiquait deux entailles verticales dans la couche, et il détachait le bloc, en enfonçant un coin de fer, à la partie supérieure. La houille était grasse, le bloc se brisait, roulait en morceaux le long du ventre et des cuisses. Quand ces morceaux, retenus par la planche, s’étaient amassés sous eux, les haveurs disparaissaient, murés dans l’étroite fente.

C’était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température montait jusqu’à trente-cinq degrés, l’air ne circulait pas, l’étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa lampe à un clou, près de sa tête; et cette lampe, qui chauffait son crâne, achevait de lui brûler le sang. Mais son supplice s’aggravait surtout de l’humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait d’eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une sorte de rythme entêté, toujours à la même place.

Il avait beau tordre le cou, renverser la nuque: elles battaient sa face, s’écrasaient, claquaient sans relâche. Au bout d’un quart d’heure, il était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d’une chaude buée de lessive. Ce matin-là, une goutte, s’acharnant dans son oeil, le faisait jurer. Il ne voulait pas lâcher son havage, il donnait de grands coups, qui le secouaient violemment entre les deux roches, ainsi qu’un puceron pris entre deux feuillets d’un livre, sous la menace d’un aplatissement complet.

Zacharie, les bras mous d’une noce de la veille, lâcha vite la besogne en prétextant la nécessité de boiser, ce qui lui permettait de s’oublier à siffler doucement, les yeux vagues dans l’ombre. Derrière les haveurs, près de trois mètres de la veine restaient vides, sans qu’ils eussent encore pris la précaution de soutenir la roche, insoucieux du danger et avares de leur temps.

– Eh! l’aristo! cria le jeune homme à Étienne, passe-moi des bois.

Étienne, qui apprenait de Catherine à manoeuvrer sa pelle, dut monter des bois dans la taille. Il y en avait de la veille une petite provision. Chaque matin, d’habitude, on les descendait tout coupés sur la mesure de la couche.

– Dépêche-toi donc, sacrée flemme! reprit Zacharie, en voyant le nouveau herscheur se hisser gauchement au milieu du charbon, les bras embarrassés de quatre morceaux de chêne.

Il faisait, avec son pic, une entaille dans le toit, puis une autre dans le mur; et il y calait les deux bouts du bois, qui étayait ainsi la roche. L’après-midi, les ouvriers de la coupe à terre prenaient les déblais laissés au fond de la galerie par les haveurs, et remblayaient les tranchées exploitées de la veine, où ils noyaient les bois, en ne ménageant que la voie inférieure et la voie supérieure, pour le roulage.

Maheu cessa de geindre. Enfin, il avait détaché son bloc. Il essuya sur sa manche son visage ruisselant, il s’inquiéta de ce que Zacharie était monté faire derrière lui.

– Laisse donc ça, dit-il. Nous verrons après déjeuner… Vaut mieux abattre, si nous voulons avoir notre compte de berlines.

– C’est que, répondit le jeune homme, ça baisse. Regarde, il y a une gerçure. J’ai peur que ça n’éboule.

Mais le père haussa les épaules. Ah! ouiche! ébouler! Et puis, ce ne serait pas la première fois, on s’en tirerait tout de même. Il finit par se fâcher, il renvoya son fils au front de taille.

Tous, du reste, se détiraient. Levaque, resté sur le dos, jurait en examinant son pouce gauche, que la chute d’un grès venait d’écorcher au sang. Chaval, furieusement, enlevait sa chemise, se mettait le torse nu, pour avoir moins chaud. Ils étaient déjà noirs de charbon, enduits d’une poussière fine que la sueur délayait, faisait couler en ruisseaux et en mares. Et Maheu recommença le premier à taper, plus bas, la tête au ras de la roche. Maintenant, la goutte lui tombait sur le front, si obstinée, qu’il croyait la sentir lui percer d’un trou les os du crâne.

– Il ne faut pas faire attention, expliquait Catherine à Étienne. Ils gueulent toujours.

Et elle reprit sa leçon, en fille obligeante. Chaque berline chargée arrivait au jour telle qu’elle partait de la taille, marquée d’un jeton spécial pour que le receveur pût la mettre au compte du chantier. Aussi devait-on avoir grand soin de l’emplir et de ne prendre que le charbon propre: autrement, elle était refusée à la recette.

Le jeune homme, dont les yeux s’habituaient à l’obscurité, la regardait, blanche encore, avec son teint de chlorose; et il n’aurait pu dire son âge, il lui donnait douze ans, tellement elle lui semblait frêle. Pourtant, il la sentait plus vieille, d’une liberté de garçon, d’une effronterie naïve, qui le gênait un peu: elle ne lui plaisait pas, il trouvait trop gamine sa tête blafarde de Pierrot, serrée aux tempes par le béguin. Mais ce qui l’étonnait, c’était la force de cette enfant, une force nerveuse où il entrait beaucoup d’adresse. Elle emplissait sa berline plus vite que lui, à petits coups de pelle réguliers et rapides; elle la poussait ensuite jusqu’au plan incliné, d’une seule poussée lente, sans accrocs, passant à l’aise sous les roches basses. Lui, se massacrait, déraillait, restait en détresse.

A la vérité, ce n’était point un chemin commode. Il y avait une soixantaine de mètres, de la taille au plan incliné; et la voie, que les mineurs de la coupe à terre n’avaient pas encore élargie, était un véritable boyau, de toit très inégal, renflé de continuelles bosses: à certaines places, la berline chargée passait tout juste, le herscheur devait s’aplatir, pousser sur les genoux, pour ne pas se fendre la tête. D’ailleurs, les bois pliaient et cassaient déjà. On les voyait, rompus au milieu, en longues déchirures pâles, ainsi que des béquilles trop faibles. Il fallait prendre garde de s’écorcher à ces cassures; et, sous le lent écrasement qui faisait éclater des rondins de chêne gros comme la cuisse, on se coulait à plat ventre, avec la sourde inquiétude d’entendre brusquement craquer son dos.

– Encore! dit Catherine en riant.

La berline d’Étienne venait de dérailler, au passage le plus difficile. Il n’arrivait point à rouler droit, sur ces rails qui se faussaient dans la terre humide; et il jurait, il s’emportait, se battait rageusement avec les roues, qu’il ne pouvait, malgré des efforts exagérés, remettre en place.

– Attends donc, reprit la jeune fille. Si tu te fâches, jamais ça ne marchera.

Adroitement, elle s’était glissée, avait enfoncé à reculons le derrière sous la berline; et, d’une pesée des reins, elle la soulevait et la replaçait. Le poids était de sept cents kilogrammes. Lui, surpris, honteux, bégayait des excuses.

Il fallut qu’elle lui montrât à écarter les jambes, à s’arc-bouter les pieds contre les bois, des deux côtés de la galerie, pour se donner des points d’appui solides. Le corps devait être penché, les bras raidis, de façon à pousser de tous les muscles, des épaules et des hanches. Pendant un voyage, il la suivit, la regarda filer, la croupe tendue, les poings si bas, qu’elle semblait trotter à quatre pattes, ainsi qu’une de ces bêtes naines qui travaillent dans les cirques. Elle suait, haletait, craquait des jointures, mais sans une plainte, avec l’indifférence de l’habitude, comme si la commune misère était pour tous de vivre ainsi ployé. Et il ne parvenait pas à en faire autant, ses souliers le gênaient, son corps se brisait, à marcher de la sorte, la tête basse. Au bout de quelques minutes, cette position devenait un supplice, une angoisse intolérable, si pénible, qu’il se mettait un instant à genoux, pour se redresser et respirer.

Puis, au plan incliné, c’était une corvée nouvelle. Elle lui apprit à emballer vivement sa berline. En haut et en bas de ce plan, qui desservait toutes les tailles, d’un accrochage à un autre, se trouvait un galibot, le freineur en haut, le receveur en bas. Ces vauriens de douze à quinze ans se criaient des mots abominables; et, pour les avertir, il fallait en hurler de plus violents. Alors, dès qu’il y avait une berline vide à remonter, le receveur donnait le signal, la herscheuse emballait sa berline pleine, dont le poids faisait monter l’autre, quand le freineur desserrait son frein. En bas, dans la galerie du fond, se formaient les trains que les chevaux roulaient jusqu’au puits.