C'est le début d'une bataille épique. À ce jour, aucune bataille navale de cette importance n'avait eu lieu. Les amiraux adverses étaient perchés dans leurs postes de commandement sur les ponts de leurs navires respectifs. Ils entamèrent leur stratégie qui était une étrange combinaison de jeu d'échecs et de cache-cache. La vie de plus de 100 000 marins et le destin de près de 250 navires étaient en jeu, et peut-être même l'issue de la première guerre mondiale. Les Britanniques espéraient une victoire comparable à celle de Trafalgar. (Où en 1805 la Royal Navy sous l'amiral Nelson détruisit les flottes françaises et espagnoles et obtint le contrôle incontesté de la mer pour le siècle suivant)
Dès le début, le plan allemand rencontre des problèmes. Les sous-marins stationnés à l'extérieur des bases de la côte écossaise ne parviennent pas à attaquer les navires britanniques qui sortent pour patrouiller en mer du Nord. En raison d'un problème technique, les ordres leur permettant d'engager leur ennemi n'ont jamais été reçus. L'utilisation par les Allemands de zeppelins comme appareils de reconnaissance est également un échec, ceci en raison de la mauvaise visibilité et du mauvais temps. Les zeppelins ne pouvaient rien voir à travers les nuages et le brouillard. Ce fut un revers important. En 1916, les canons et les navires de la marine étaient plus sophistiqués et plus puissants que ceux utilisés par l'amiral Nelson à Trafalgar. Mais la technologie de communication et de détection était sensiblement la même. Les Allemands avaient beau avoir des canons capables de tirer un obus lourd sur 14 miles, ils cherchaient toujours leur ennemi à la longue-vue et à l'œil nu.
De plus, en raison du danger d'interception des communications par l'ennemi lors des combats, ils préféraient encore communiquer avec leurs navires à l'aide de drapeaux de signalisation.
Plus tôt dans l'après-midi, aucune des deux marines n’avait une idée de la taille de la flotte ennemie qui approchait rapidement. Nous pensions que l'escadron allemand était en mer, et les Allemands n'avaient aucune idée qu'ils étaient sur le point d'affronter l’intégralité de la Grande Flotte britannique.
La flotte de l’amiral Beatty est repérée pour la première fois par les navires allemands vers 14h, alors qu'ils se trouvent à 75 miles des côtes danoises. Cela donna lieu à une confrontation navale épique qui restera à jamais connue comme la bataille de Jutland.
Les premiers coups de feu furent tirés 15 minutes plus tard, entre de petits vaisseaux d'éclaireurs qui naviguaient devant les flottes principales. C'était un jour brumeux. Le soleil caché derrière les navires allemands leur permit de mieux voir l'ennemi en approche. Nous avons avancé pour engager les forces allemandes. À ce moment-là, il était déjà 15h30. Nous savions que la Grande Flotte britannique arrivait derrière nous, et que nous serions seuls pendant plusieurs heures.
Les Allemands savaient qu'ils devaient attirer les navires de l’amiral Beatty dans les mâchoires de la flotte de haute mer qui se trouvait derrière eux. Comme ils l'avaient fait à l'époque de l’amiral Nelson à Trafalgar, les deux flottes naviguaient en ligne, l'une après l'autre, en formation serrée.
À 16h, les croiseurs de combat commencent à se tirer dessus. Les chances semblaient être de notre côté. Nous avions six croiseurs de combat et les Allemands seulement cinq. Les tirs sont incessants et chaque escadron doit se frayer un chemin dans l'épaisse cascade des éclaboussures d'obus. Dans le no man’s land qui sépare les flottes, un petit voilier est immobile. Ses voiles pendent mollement tandis que des obus mortels sifflent et hurlent au-dessus des têtes des infortunés marins à bord.
La supériorité des canons et des navires allemands semble évidente. Douze minutes seulement après le début des combats, l'un de nos croiseurs de combat est la première victime majeure de la journée. Les Allemands avaient tiré simultanément trois obus sur le navire. Le HMS Indefatigable disparut dans un vaste nuage de fumée noire, deux fois la hauteur de son mât. Il était sorti de l'alignement lorsque deux autres obus avaient explosé sur son pont. Quelque chose de terrible était en train de se produire, je regardais les flammes brûlantes engloutir ses munitions. Trente secondes après le deuxième obus, le vaisseau entier explosa, projetant d'énormes fragments de métal dans les airs.
Le navire se retourna et coula un moment plus tard.
Plusieurs autres navires britanniques avaient été touchés, dont celui de l’amiral Beatty, le croiseur de combat HMS Lion. Un obus avait explosé sur la tourelle centrale et avait soufflé la moitié du toit, tuant tout l’équipage en charge du canon. Les canons rugissaient et les obus sifflaient autour d’eux, c'était suffisant pour distraire quiconque de ce qui se passait aux alentours. Nous avions à peine remarqué la perte du HMS Indefatigable. Nous avions assez de problèmes comme ça. Six autres obus des Allemands touchèrent notre navire à quatre minutes d'intervalle, et les incendies faisaient rage sur le pont et en dessous. Trente minutes plus tard, une autre explosion provoquée par les feux à combustion lente s'est élevée jusqu'à la tête de mât. Mais nous avions survécu et nous continuions à nous battre.
D'autres navires britanniques participant aux combats faisaient face à des problèmes similaires. En moins d'une heure, le croiseur cuirassé Queen Mary explosa, se brisant en deux et coulant en moins de deux minutes. Les réserves de munitions avaient explosé. Les énormes tourelles de canon avaient été soufflées à 30 mètres dans les airs. Seuls huit hommes de tout l’équipage avaient survécu.
Je voyais le Queen Mary couler, et je sentais au plus profond de mes entrailles que je devais m'échapper. Je plongeais dans l'eau glacée et huileuse et nageais aussi vite que possible pour m'éloigner du navire. Une minute plus tard, il y eu une énorme explosion, et des morceaux de métal se mirent à tomber autour de moi. Je plongeais profondément sous les vagues pour éviter d’être touché par les retombées. Je refis surface en haletant. Je fus à nouveau aspiré sous l'eau par le navire qui coulait.
Sous l'eau, je me sentais impuissant et résigné à mon propre sort. Mais quelque chose me poussa à remonter vers la surface. Au moment où je pensais que j'allais perdre conscience, j'ai surgi des vagues. Je vis un morceau de débris flottant et j’enroulais mon poignet autour de la corde qui en dépassait avant de perdre conscience. J'ai fini par être secouru, mais pas avant qu'un autre navire qui m’avait laissé pour mort n'ait recueilli d'autres survivants.
Par la suite, l’amiral Beatty a commenté la destruction du Queen Mary. À la manière prétentieuse de la classe supérieure britannique en guerre, il a déclaré : « Il semble y avoir un problème avec nos fichus navires aujourd'hui. »
Il y avait un problème avec les navires britanniques. Ils étaient mal conçus. Les navires de guerre allemands avaient des cloisons solides que l'on ne pouvait traverser qu’en se rendant au pont supérieur, puis en descendant dans la section suivante. Les navires britanniques avaient des cloisons avec des portes qui permettaient le passage entre les sections. C'était beaucoup plus pratique, mais une sérieuse faiblesse quand une explosion massive déchirait le vaisseau. Les Britanniques avaient également une attitude beaucoup plus négligente à l'égard de leurs munitions.
Les Allemands entreposaient leurs munitions et leurs obus dans des conteneurs à l'épreuve des explosions jusqu'à ce qu'ils soient prêts à être tirés tandis que les artilleurs britanniques empilaient les obus à côté des canons. Il était donc beaucoup plus facile de les amorcer et de les faire exploser accidentellement si le navire était touché.
Peu après le naufrage du Queen Mary, la flotte allemande de haute mer fut repérée à l'horizon, se dirigeant vers nous pour rejoindre l'escadron de cuirassés. Le reste de la Grande Flotte britannique était encore à une bonne douzaine de miles. C’était le moment de tester les limites du sang-froid de l’amiral Beatty. Il avait en face de lui toute la puissance de la marine allemande et avait déjà perdu deux croiseurs cuirassés. L’amiral Beatty donna le signal de virer à 180 degrés.
Le plan allemand était d'attirer les Britanniques dans les mâchoires de leur machine de guerre. Les navires allemands nous suivirent. L’amiral Beatty les avait attirés vers la puissance de feu de la Grande Flotte britannique. Peu après 17h, les Allemands s'étaient suffisamment rapprochés des navires en retraite de Beatty pour commencer à attaquer les traînards. Mais une heure plus tard, la Grande Flotte britannique de vingt-quatre cuirassés se montra à l'horizon.
Peu importe la capacité des navires allemands, ils étaient maintenant largement inférieurs en nombre. Les Allemands, alors en grande difficulté donnèrent l'ordre de la retraite vers le nord. Les Allemands essayaient-ils de nous faire tomber dans un piège, en espérant attirer les Britanniques à travers un champ de mines ou dans un couloir avec des sous-marins les attendant plus loin ? Il y avait trop d’éléments en jeu. Les Britanniques décidèrent de ne pas les suivre. Au lieu de cela, ils ordonnèrent à leurs navires de se diriger vers le sud dans l'espoir de reprendre contact avec la flotte allemande plus tard.
Un autre navire britannique, le HMS Invincible, devint la troisième victime majeure de la journée. Une de ses tourelles touchées par un obus, se désintégra dans une énorme explosion qui brisa le navire en deux. Seuls six hommes allaient survivre sur un équipage de plus de mille personnes. Pendant un moment, la proue et la poupe de cet énorme croiseur de combat furent comme figées sur l'eau, tels des clochers d'un village englouti. Puis, la poupe sombra dans les remous. La proue resta dressée jusqu'au lendemain, puis s’enfonça également dans les flots glacés. L’équipage piégé à l'intérieur a dû passer une nuit angoissante, se demandant ce qui pouvait bien leur arriver dans ce monde inversé. Ils s'attendaient sûrement à être engloutis par la mer lorsque le navire s'est retrouvé à la verticale. Leur mort inévitable avait été prolongée de plusieurs heures misérables.
Au fil de la soirée, l'intuition des Britanniques selon laquelle les navires allemands se dirigeraient vers le sud s'est avérée exacte. Juste après 19h, les deux flottes s’affrontent à nouveau. Les Allemands effectuent plusieurs mouvements pour tenter de prendre l'avantage sur la flotte britannique. Les deux camps suivirent une tactique connue sous le nom de « faire le T ». Cette idée consistait à aligner la flotte de navires de guerre à angle droit par rapport à l’adversaire, alors qu'il s'approche en ligne droite. Donc, votre flotte représente le haut du T et la flotte ennemie la barre descendante. De cette façon, le capitaine pouvait tirer avec tous les canons à bord des navires, tant à la proue qu'à la poupe, tandis que l'ennemi ne pouvait utiliser que ses canons avant.
Mais les Allemands échouent et leurs navires se retrouvent désastreusement éparpillés en biais par rapport à la flotte britannique qui approche. Pire, le soleil est maintenant derrière les Britanniques et il n'est possible de les voir qu'à la lueur de leurs canons. À ce stade de la bataille, ce sont les obus britanniques qui tombent avec plus de précision et les navires allemands qui mordent la poussière.
C'est à ce moment précis que les Allemands prirent la décision la plus infernale de la journée. Pour éviter que toute leur flotte ne soit réduite à l'état d'épave par la force britannique beaucoup plus importante, les Allemands prirent quatre de leurs croiseurs de combat et les lancèrent directement vers la flotte britannique. Leur signal indiqua : « Croiseurs de combat sur l'ennemi ». Pas de quartier. Il y avait une logique cruelle dans cette décision. Les Allemands utilisaient de cette façon leurs navires de guerre plus anciens et moins puissants. Cette action était connue sous le nom de « course au suicide ». Les Allemands voulaient que la flotte britannique concentre son feu sur cet escadron d'attaque tout en permettant au reste de la flotte de haute mer de faire demi-tour et de s'échapper.
Ces quatre navires allemands avaient été au cœur de l'action depuis le début de la bataille. Ils avaient tous subi de sérieux dommages. Alors qu'ils se dirigeaient vers la lumière déclinante, le capitaine de chaque navire était convaincu qu'il ne vivrait pas jusqu’au petit matin. Mais dans une guerre, rien n'est prévisible. Devant eux, la Grande Flotte britannique s'étendait en un demi-cercle aussi loin qu'ils pouvaient voir. Chacun de ces navires britanniques tirait sur les cuirassés allemands qui approchaient. Le premier croiseur de combat reçu des impacts directs sur ses tourelles arrière, explosant avec des conséquences horribles pour ceux qui se trouvaient à l'intérieur. Grâce à une bonne conception, le reste du navire survécu. Les autres cuirassés allemands subirent des coups similaires. Bien qu'ils aient reçu de nombreux impacts d'obus britanniques, les navires ne furent pas mis en pièces.
Le commandant allemand était courageux, mais il n'avait pas l'intention de se suicider. Une fois qu'il a été sûr que le reste de la flotte allemande s'était échappé, il a détourné ses navires pour rejoindre l'arrière de l'escadron en fuite. Les Britanniques sont devenus méfiants. Plutôt que de suivre directement les navires allemands, ils ont décidé de se diriger vers le sud et ont fait la course pour les contourner en empruntant une route plus indirecte. C’est au moment où le soleil se couche à l'horizon que l'escadron allemand est rattrapé par les Britanniques. Cette fois, ils n'ont pas été aussi chanceux. L’un des croiseurs de combat allemand a subi plus de dommages et a coulé plus tard dans la nuit, alors que les trois autres croiseurs de combat ont été sévèrement endommagés.
Dans l'obscurité, les adversaires échangent des tirs, mais l'action principale est terminée. Un autre cuirassé allemand est coulé. Des torpilles lancées par des destroyers britanniques l'ont touché lors de sa retraite, et les 866 hommes à bord ont été tués.
À l’aube du matin le 1er juin, vers 3h, les Britanniques espèrent reprendre le contact avec la flotte allemande aux premières lueurs du jour, mais les vigies ont les yeux rivés sur une mer désertée. Les navires allemands étaient en déjà vue de leur port d'attache. Cette bataille était terminée.
Les deux plus grandes marines du monde ont pris part à une grande bataille navale de la Première Guerre mondiale. Elle devait également être la dernière grande bataille navale de l'histoire contemporaine. Les cuirassés ne se rencontreront plus jamais en si grand nombre. Au fil du siècle, des armes navales encore plus mortelles que celles que portaient les cuirassés - sous-marins, bombardiers en piqué, etc. seront élaborées. Les progrès technologiques ont rendu les cuirassés trop vulnérables pour être des armes utiles.
Le pari allemand a échoué. Les événements de la journée montrent qu'ils avaient tout à fait le droit d'être confiants. Les navires allemands étaient meilleurs que ceux de la Grande-Bretagne et ils l’avaient prouvé en coulant une plus grande partie de la flotte ennemie. Les Britanniques avaient perdu 14 navires et plus de 6 000 hommes. Les Allemands avaient perdu 11 navires et plus de 1 500 hommes. Le lendemain de la bataille, la victoire allemande semblait acquise.
Mais pour finir, la puissance de la Royal Navy l'a emporté une fois de plus. Nous contrôlions toujours la mer. Comme les autres grandes batailles de 1916 à Verdun et dans la Somme, ce gigantesque choc de forces opposées a eu lieu, et rien n'a changé. Les Britanniques n'avaient pas perdu la guerre en un après-midi, après tout. Nous ne l'avions pas gagné non plus, mais nous avions veillé à ce que l'Allemagne ne la gagnerait pas.
Après la bataille, les tactiques employées par les Britanniques ont été discutées et disséquées dans les moindres détails. La communication entre les navires britanniques avait été très mauvaise et l’amiral Beatty avait été critiqué pour ne pas avoir attaqué la flotte allemande avec plus d'enthousiasme. Rétrospectivement, les Britanniques s'en étaient quand même sortis en bien meilleure position que les Allemands. Il ne nous a fallu qu'une journée pour nous remettre de la bataille, avant de pouvoir annoncer que notre flotte était à nouveau prête à faire face à toute menace.
La flotte allemande de haute mer n'a plus navigué.
L'issue de la bataille de Jutland fut lourde de conséquences. La flotte de haute mer s'étant révélée incapable de saper le contrôle britannique sur les mers, le haut commandement allemand décide d'adopter à la place une politique de guerre sans restriction par les sous-marins. Leurs sous-marins sont autorisés à attaquer tout navire, y compris les navires neutres, qui pénètre dans les eaux britanniques.
Ce changement de tactique entraînera le naufrage de navires américains, ce qui fut l'une des principales raisons de l'entrée en guerre des États-Unis contre l'Allemagne - une décision qui a scellé son destin.
La flotte allemande de haute mer restera au port pour le reste de la guerre. L'ennui et les mauvaises rations conduisent à des mutineries à la fin de la guerre, et finalement à une insurrection révolutionnaire. Après l'armistice de novembre 1918, la flotte reçoit l'ordre de prendre la mer pendant que les termes de la paix sont discutés à Paris.
Juste avant la signature du traité de paix à l'été 1919, la flotte de haute mer reçoit l’ordre de se diviser et de remettre ses navires aux nations victorieuses. Mais c'était trop dur à supporter pour les équipages squelettiques des marins allemands restés à bord des navires. Ils sabordèrent et coulèrent délibérément leur flotte. La plupart de ces vastes et magnifiques navires de guerre ont finalement été repêchés du fond de la mer et remorqués pour être mis à la ferraille.
Mais certains subsistent à ce jour sur le plancher marin et sont une source de fascination pour les plongeurs.
L’hécatombe dans la Somme
Mon aventure commence dans les premiers jours qui suivent le début de la guerre. La plupart des soldats qui ont pris part à cette grande bataille étaient pour la plupart des volontaires qui se sont engagés dès le début. Nous étions surnommés l'armée de Kitchener, d'après le secrétaire d'État britannique, Lord Kitchener, qui était sur des affiches de recrutement enrôlant des volontaires dans toute la Grande-Bretagne.
Des millions d'hommes ont afflué pour le rejoindre. Nous avons été séduits par la promesse de pouvoir servir aux côtés de nos amis dans ce que l'on appelait les bataillons « Pal » (copains). C'était une excellente idée en théorie. Les soldats au sein du régiment étaient composés d'hommes originaires du même village, de la même ville ou du même lieu de travail. Nous avions été entraînés et avions travaillé ensemble, et quand le moment serait venu, nous allions aussi combattre ensemble.
Je venais de la ville industrielle brumeuse de Lancashire. Nous avons fourni un bataillon de copains pour le Régiment East Lincolnshire. Lorsque la guerre a éclaté, la ville connut des temps difficiles. Il y eu une grève à l'usine locale de machines textiles dans l'usine de coton qui avait licencié plus de 500 hommes. La plupart des hommes s'empressèrent de s'engager pour le bénéfice de la solde des soldats ainsi que pour tout autre motif patriotique. Après tout, le salaire était le double de ce que nous recevions à l'usine. Si nous n’étions pas tentés par l'aspect financier, nous faisions face à des pressions plus subtiles. Je me souviens d'une affiche de recrutement qui disait :
« Te battras-tu pour ton roi et ton pays, ou te cachera-tu dans la sécurité que tes pères et tes frères ont lutté pour maintenir ? »
Une autre affiche de recrutement portait un message beaucoup plus personnel ; il s'agissait d'un jeune homme qui se faisait humilier par le père de sa petite amie. Il disait :
« Si tu es assez vieux pour sortir avec ma fille, tu es assez vieux pour te battre pour elle et ton pays. »
Quelles que soient les autres raisons qui nous ont poussés à nous engager, beaucoup d'autres hommes l'ont fait aussi juste pour jouer la corde du patriotisme - c'était un sentiment de devoir et d'amour pour la patrie. Le Lancashire était très pauvre, et un bon nombre de ceux qui affluaient pour s'enrôler étaient chétifs et mal nourris. De nombreux hommes échouèrent à l'examen médical et furent rejetés comme recrues, à leur grande humiliation et déception. Après des protestations dans la région, l'armée britannique décida d’abandonner les normes.
Au lieu d'exiger des recrues qu'elles aient au moins 18 ans, qu'elles mesurent plus d'un mètre soixante-cinq avec un tour de poitrine de 88 centimètres, les règles ont été assouplies pour qu'elles ne mesurent plus qu'un mètre soixante et qu'elles aient un tour de poitrine de 85 centimètres. L'âge n'a jamais été un problème ; il était toujours assez facile pour un jeune de 16 ans de se faire passer pour un soldat, et cela était rarement vérifié.
Lorsque l'heure du départ a sonné, nous nous sommes alignés sur la place du marché et avons défilé jusqu'à la gare en granit, sous les yeux de toute la ville. Nous nous tenions sur les quais bondés et attendions le train à vapeur qui allait nous arracher à notre monde familier. Je me souviens et je vois des photos de moi et d'autres hommes souriant pour l'appareil photo. En réalité, nous n'avions aucune idée dans quoi nous nous embarquions.
Alors que l'année 1915 s'achève, les commandements militaires britannique et français sont convaincus que la fin de la guerre passe par une seule grande poussée. Cela serait une attaque massive, sur un large front, qui suffirait à percer les lignes allemandes et à former une brèche dans laquelle la cavalerie pourrait s'engouffrer. Cette tactique rétablirait une guerre de mouvement au lieu de l'impasse des tranchées.
L'endroit choisi pour cette grande poussée était la Somme, une région calcaire du nord de la France près de la frontière belge, nommée d'après le fleuve qui la traverse. La Somme n’avait en elle-même aucune valeur stratégique. Elle avait été choisie simplement parce que c’était la zone du front occidental où se rencontraient les lignes britanniques et françaises. C'était l'endroit le plus pratique pour une attaque combinée
Au début de l'année 1916, les Allemands ont leurs propres plans : ils ont l'intention d'épuiser l'armée française par des attaques constantes. Les Allemands lancent un siège sur la forteresse française de Verdun. Elle débute en février 1916 et ne réussit que trop bien, mais à un coût terrible pour leur armée.
L'armée française ne s'est jamais remise des combats de Verdun. Elle ne fut certainement pas en mesure de nous offrir plus qu’un soutien symbolique lorsque leur propre grande poussée a commencé en été.
Notre commandant, le maréchal britannique Haig, commandait les troupes britanniques dans cette section du front, et il devait décider du plan final de la bataille de la Somme. Le maréchal Haig avait la responsabilité du commandement général des armées, soit 58 divisions. La plupart de ces hommes étaient des recrues de l'armée de Kitchener qui s’étaient engagés en 1914. Nous étions entraînés et prêts à nous battre et nous avions envie de montrer ce dont nous étions capables.
Dès le début, il y avait quelque chose de peu imaginatif dans la tactique du maréchal Haig. Le maréchal Haig était convaincu que Dieu l'avait aidé dans ses plans de bataille. La date de notre première attaque fut le 1er juillet à 7h30 du matin, après une période de cinq jours de bombardements par plus de mille pièces d'artillerie. C'était bien trop évident pour l'ennemi. Le bombardement de cinq jours indiquait une attaque dans ce secteur aussi clairement que si vous l'aviez écrit à la plume. Ceux qui, comme moi, se sont précipités pour s'engager dans un premier élan d'enthousiasme pour la guerre, étaient sur le point de découvrir la véritable nature de la guerre du 20ème siècle.