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La Première Guerre Mondiale
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La Première Guerre Mondiale

Le soir avant l'attaque, nous avons été emmenés dans les tranchées de la ligne de front. On nous fit passer devant des fosses communes ouvertes, fraîchement creusées en prévision des lourdes pertes à venir.

J'étais plus proche de l'ennemi que je ne l'avais jamais été, et j'ai essayé de m’installer dans ma position inconfortable et de me préparer pour le lendemain matin. Il était impossible de dormir pendant le bombardement d'artillerie.

La veille de l'offensive, les commandants nous ont informés de la tâche à accomplir. On nous a dit que les tranchées que nous allions attaquer seraient sans défense (les ordonnances s'en seraient assurés) et qu’ils auraient aussi coupé les barbelés devant les tranchées allemandes. Les généraux étaient tellement convaincus que nous n'aurions aucun problème à prendre la ligne de front allemande, que les troupes furent envoyées au combat avec plus de 30 kilos d'équipement supplémentaire. C'était comme porter deux lourdes valises au combat. Ils s'attendaient à ce que nous occupions les lignes de front allemandes et que nous repoussions les contre-attaques.

La Somme n'était pas un bon endroit pour lancer une attaque. La principale raison de son emplacement (le point de jonction des lignes de front britannique et française) avait été réduite à une considération mineure après Verdun. Seulement cinq divisions françaises allaient prendre part à cette bataille, alors que nous avions quatorze divisions britanniques. Tout au long du front, les Allemands occupaient les terrains les plus élevés. Nous avons dû avancer en montant.

Le sol crayeux avait permis aux Allemands de creuser beaucoup plus facilement. Ils se trouvaient à 12 mètres sous terre et avaient construit des positions lourdement fortifiées qui avaient pratiquement été à l'abri des cinq jours de bombardement. Les cinq jours de bombardements n'avaient pas non plus été aussi impressionnants qu'il n'y parut. Les 1,5 million d'obus tirés avaient été produits à la hâte et le contrôle de qualité avait été inexistant. La plupart des obus étaient des ratés et n'avaient pas explosé.

Ceux qui avaient explosé avaient remué le sol devant les tranchées allemandes et avaient rendu plus difficile le passage de notre attaque. Lorsque le bombardement d'artillerie prend fin à 7h30 du matin, plusieurs énormes explosions secouent les tranchées allemandes. Ces explosifs avaient été placés par des mines déposées à intervalles sous les positions allemandes le long des 30 kilomètres du front désigné pour l'attaque.

Après cette formidable explosion projetant de la terre à des dizaines de mètres de hauteur, un étrange silence s'est installé sur le champ de bataille. Faisant suite au rugissement constant des cinq derniers jours, cela semblait anormal. J'imagine que les soldats allemands ont su immédiatement que quelque chose allait se passer. Ils sortirent rapidement de leurs bunkers et installèrent leurs mitrailleuses.

Tout le long du front de bataille, des sifflets ont retenti. C'était le signal de l’attaque. Nous grimpâmes sur des échelles en bois placées le long du bord extérieur des tranchées de la ligne de front. Nous nous sommes disposés en lignes nettes tel que nous l’avions appris lors de notre entraînement et nous avons marché dans le no man’ s land par vagues successives.

Certains d'entre nous avaient des disques en fer-blanc dans le dos, ils étaient censés réfléchir la lumière. L'idée était de montrer à l'artillerie où nous étions pour que nous ne soyons pas touchés par nos propres obus. C'était un matin d'été lumineux, déjà si chaud que les hommes sentaient la chaleur du soleil sur leur nuque. C'est le plan d'action du maréchal Haig qui prévoyait que les soldats devaient avancer en ligne droite selon un ordre précis. Ils avaient décidé de ne pas envoyer de détachement éclaireur pour vérifier que les barbelés avaient été détruit. L'idée était que nous étions si inexpérimentés que nous aurions été incapables de suivre autre chose que le plan le plus simple. Il ne devait pas y avoir de flexibilité ni d'initiative, juste un élan. Nous étions une vaste marée d'hommes destinés à balayer les Allemands de leurs positions.

J'étais dans la première vague de l'avancée.

Alors que nous approchions des lignes allemandes je vis avec horreur que les barbelés n'avaient pas du tout été détruits. Nos obus d'artillerie les avaient simplement fait sauter en l'air, puis ils étaient retombés à l’endroit d’où ils se trouvaient précédemment. Il y avait des ouvertures dans le barbelé mais nous allions rapidement comprendre qu'ils avaient été délibérément coupés par les Allemands pour nous faire tomber dans des zones de combat où ils concentreraient leurs tirs de mitrailleuses.

Selon le commandement militaire britannique, tout Allemand qui survivait au bombardement était censé être désorienté et submergé par l'ampleur de la force qui s'opposait à lui. Mais au lieu de cela, ils ont juste commencé à nous massacrer. Nous faisions face aux mitrailleuses (des armes efficaces qui tiraient 600 balles par minute) qui nous fauchaient comme si nous étions des épis de maïs dans un champ. Un capitaine du huitième bataillon donna le signal de l'attaque en montant sur le rebord de sa tranchée. Il botta un ballon de football en direction des lignes ennemies. Je suis sûr qu'il essayait d'apaiser les craintes de ses hommes par une démonstration de bravade, mais il fut tué instantanément d'une balle dans la tête, sapant l'effet qu'il essayait de créer.

Je continuais à avancer dans un délire brumeux. Tout autour de moi, je voyais des hommes tomber au sol, certains mollement, d'autres en roulant et hurlant. Je continuais et je restais indemne alors que mes amis et camarades étaient abattus. Trois autres vagues arrivèrent derrière moi et subirent le même sort. Je regardai le long de la ligne et réalisai que nous n'étions plus que quelques-uns.

Conformément au plan, notre attaque se poursuivit toute la matinée, avec quatre vagues d'hommes affrontant le même sort sinistre. Notre armée britannique était probablement la force de combat la plus rigide et la plus inflexible de la guerre. Dans le feu de l'action, les officiers subalternes devaient suivre leurs ordres à la lettre. À n'importe quel prix. Même s'ils se trouvaient dans des circonstances impossibles.

Les communications entre les officiers du front et les généraux de l'arrière étaient mauvaises. Ils dépendaient des lignes téléphoniques, qui étaient brisées par les tirs d'obus, et des messagers devant transmettre les messages du front à l'arrière, qui étaient souvent tués. Les officiers avaient reçu des instructions d’ordonner aux soldats d'avancer à tout prix et ils suivent les ordres, malgré l'évidente absurdité. Le maréchal Haig aurait aussi bien pu nous ordonner de sauter d’une falaise.

En début d'après-midi, la nouvelle de notre massacre est remontée jusqu'au quartier général de l'armée et les autres attaques de la journée ont été annulées. Le nombre de victimes fut le plus élevé jamais enregistré en un seul jour dans l'histoire de l'armée britannique, et les pires chiffres pour une journée, dans n'importe quelle armée, pendant toute la guerre.

Je me suis arrêté un instant dans la confusion de la débâcle lors de mon retour aux postes d'évacuation des blessés à l'arrière, pour juger du carnage et pour trouver un visage familier revenu du no man’s land. Nous avions notre rituel d'appel, qui établissait qui était revenu de l'attaque et qui ne l'était pas. Tant de mes amis avaient disparu qui avaient dû être tués ou blessés. Toutes ces balles, toutes ces balles et pas une seule marquée de mon nom. J'avais l'impression d'être l'homme le plus chanceux du monde.

Des cent vingt mille hommes qui ont pris part aux premiers combats du matin, la moitié d’entre eux avait été touchés. Il y eu plus de 20 000 hommes tués, et 40 000 autres gravement blessés. Cette nuit-là, une file d'hommes qui avaient été blessés dans le no man's land et qui avaient passé la journée à se cacher dans les cratères sous le soleil brûlant retournèrent dans leurs tranchées sous couvert de l'obscurité.

J'ai découvert plus tard que la presse britannique avait rapporté l'attaque en disant que la bataille était une grande victoire et avait décrit le désastre comme un jour de gloire pour l'Angleterre. On pouvait lire dans le journal :

Une poussée lente, continue et méthodique, a épargné les vies.

Je suis sûr que ces rapports visaient à rassurer les familles anxieuses au pays, mais moi et les autres soldats qui avions participé à cette attaque, nous étions en colère. Certains bataillons s'en sortaient avec juste quelques pertes, mais d'autres avaient terriblement souffert.

Un autre bataillon avait commencé la journée avec 24 officiers et 650 hommes. À l'appel du soir, il ne restait plus qu'un seul officier et 50 hommes. Le bataillon du Lancashire, qui était parmi les premiers à attaquer la ligne allemande ce matin-là, avait perdu 584 hommes sur 720, tués, blessés ou disparus dans la première demi-heure de la bataille. Malgré l'absence totale de nouvelles fiables en provenance du front, nos familles du Lancashire commençaient à soupçonner que quelque chose de terrible nous était arrivé. Le flux régulier de lettres en provenance de France s'était arrêté.

Une semaine après le début de la bataille, un train rempli de soldats blessés de la Somme s'était brièvement arrêté à la gare de Lancashire en route vers un hôpital militaire plus au nord. Un passager du train avait interpellé un groupe de femmes sur le quai les informant que ses copains de Lancashire avaient été massacrés.

L’affreuse nouvelle s’est rapidement répandue et créa une atmosphère insoutenable, comme l'air lourd et suffocant avant l'orage qui plane sur la ville. Des lettres d'hommes blessés assurant leurs familles qu’ils avaient survécu à l’horreur commencèrent à affluer. Les lettres arrivaient en si grand nombre qu'il était évident que quelque chose de très grave s’était produit. Ceux qui avaient reçu des nouvelles se retrouvaient dans un terrible calvaire : devaient-ils espérer le meilleur ou craindre le pire ?

Il y a quelque chose d'encore pire avec la Somme et ses 60 000 victimes en une seule matinée. Malgré les pertes, le maréchal Haig restait convaincu que son échec était dû au fait qu’il n’avait pas envoyé assez d'hommes. Il pensait que la grande poussée n’avait pas été assez importante. Ainsi, pendant les cinq mois suivants, les volontaires de l'armée de Kitchener allaient alimenter l’hideuse machine à broyer pour être massacrés par milliers, pris dans les barbelés et criblés de balles de mitrailleuses.

Il y a eu malgré tout quelques réussites en dépit du carnage. L’attaque de nuit du 4 juillet prend les Allemands par surprise et les tranchées allemandes de la ligne de front sont envahies sur 8 kilomètres. Le lendemain matin, cette percée est suivie d'une charge de cavalerie - la tactique standard utilisée dans les guerres du XIXème siècle - lorsque la ligne de front de l'ennemi est percée. Les cavaliers n'avaient pas l'air aussi fringants qu'auparavant. Les vestes rouges avaient été remplacées par du kaki fadasse. Le clairon sonnait pourtant toujours et les lances scintillaient sous le chaud soleil d'été. Comme toutes les charges de cavalerie, c'était un spectacle magnifique, jusqu'à ce qu'il se termine dans une grêle de balles de mitrailleuses, de chevaux qui se débattent et de corps qui tremblent.

Même les troupes australiennes étaient arrivées le front occidental et combattaient avec un grand courage. Trois semaines après le début de la bataille, un village local fut repris, mais à un prix terrible pour cette maigre victoire. Tant d'hommes avaient été tués qu'un soldat australien m'a décrit l'opération comme :

La plus sanglante, la plus lourde et la plus pourrie des histoires dans lesquelles les Australiens avaient jamais été impliqués.

Le 15 septembre 1916, les chars d'assaut sont utilisés pour la première fois dans l'histoire. Nous avions fondé de grands espoirs sur ces nouvelles armes, des « mitrailleuses destructrices » comme on les appelait à l'époque. En effet, le plus terrifiant pour un mitrailleur allemand dans sa tranchée, était de se trouver nez à nez à un énorme char, ses chenilles métalliques cliquetant et grinçant avançant lentement pour écraser la défense de barbelés, et les balles rebondissant sur son lourd flanc d'acier. Le char d'assaut s'est finalement révélé être l'une des armes les plus efficaces du siècle, malheureusement pas lors de la bataille de la Somme. La plupart tombaient en panne avant même d'avoir pu atteindre la ligne de front.

Après cent quarante jours, lorsque la bataille s'arrête finalement en novembre 1916, plus d'un million d'hommes ont été tués ou blessés. Au total, il y eu plus de 400 000 pertes britanniques, 200 000 pertes françaises et un demi-million de pertes allemandes. Les adversaires, pour la plupart des soldats de la deuxième armée allemande, avaient subi d’énormes pertes à cause de leurs propres généraux, qui avaient donné l’ordre que tout terrain gagné par les Britanniques ou les Français devait être repris à tout prix. Le haut commandement allemand avait également interdit l'évacuation volontaire des tranchées. Les soldats avaient l’ordre de maintenir fermement leurs positions dans les tranchées, et lorsqu’ils pouvaient en sortir, ils devaient se frayer un chemin en piétinant les cadavres qui les jonchaient.

Après que nos troupes avaient été fauchées par milliers lors de l'attaque des tranchées allemandes de première ligne, les soldats britanniques prenaient finalement une sinistre revanche alors que nos ennemis s'exposaient à un carnage similaire pour regagner le terrain perdu. Je me souviens avoir pensé : « Vous nous en avez fait voir, maintenant c’est vous qui allez prendre ». Les mitrailleurs fauchaient impitoyablement et sans relâche les soldats allemands qui se précipitaient aveuglément vers nos balles. Tout avantage militaire positif de cette destruction était imperceptible.

Dans certaines zones le long de la ligne de front de 30 kilomètres avait été redessinée de quelques kilomètres ici et là mais, comme tant d'autres batailles de la première guerre mondiale, la mort à une telle échelle industrielle n’avait servi à rien. Les soldats de l'armée britannique ne montreront plus jamais un tel enthousiasme pour la bataille. À partir de ce moment-là, les simples soldats évoqueront la campagne sur la Somme avec un dégoût sincère et amer. Aujourd'hui encore, l'horreur et le carnage des premières heures de ce samedi matin me choquent lorsque je pense à la guerre.

Pour ceux qui ont participé et ont survécu, il s'agissait du moment déterminant de leur vie. Je me souviens de la façon dont le premier jour a fusionné avec le second, j’étais sinistrement planté dans une tranchée endommagée et je voyais jour après jour mes camarades soldats vieillir et subissait des grêles de bombardements qui duraient des jours entiers. Pendant des heures, nous avons prié, transpiré et juré en travaillant sur les tas de craie boueuse et les corps mutilés.

À l'aube du lendemain matin, nous étions de retour dans la verdure. Je m’appuie pensivement sur mon fusil et je regarde bêtement les hommes épuisés et sales qui dorment autour de moi.

Il ne me vient pas à l'esprit de m'allonger jusqu'à ce que quelqu'un me pousse dans les fougères. Il y avait des fleurs parmi les fougères, et l'une de mes dernières pensées fut de me demander si les fleurs allaient un jour repousser dans les champs du carnage.


Mutinerie sur le front occidental


Le mot « mutinerie » évoque des images de violence alcoolique et de descente dans l'anarchie. C'est un mot qui ferait tourner le sang des officiers en bloc de glace. Sans ordre et sans obéissance, un homme ne peut pas donner d’ordres à un autre homme pour effectuer des actions qui entraîneront la mort et des blessures d’autres êtres humains. La mutinerie rend une armée inefficace plus rapidement qu'un barrage de mitrailleuses ou même d'artillerie. Elle peut conduire à une défaite totale en quelques jours, c'est pourquoi ils elle est généralement punie avec une grande sévérité.

Dans la Rome antique, les mutins de l'armée qui revenaient au régime militaire étaient soumis à la décimation : un homme sur dix était arraché des rangs et exécuté publiquement. Qui aurait pu deviner que cette réaction antique et barbare serait à nouveau employée au XXème siècle pour rétablir l'ordre dans l'armée française.

Les mutineries françaises de 1917 trouvent leur origine dans la décision de l'armée allemande de mener la guerre en prenant des vies françaises plutôt que des territoires français. En février 1916, les Allemands avaient choisi la forteresse française de Verdun pour mettre leurs plans en action. Pendant 10 mois d’horreur, les Français et les Allemands s’affrontèrent pour le contrôle de la forteresse. La plupart des combats s’étaient déroulés dans des forts de béton humides, éclaboussés de sang, et respirant la terreur des hommes devant affronter le combat au corps à corps.

Lorsque la bataille se termine en décembre de la même année, plus de 350 000 soldats français et 330 000 soldats allemands auront été tués ou blessés.

Il n'y avait rien de satisfaisant dans ce massacre.

Aucun territoire n'avait été gagné ni perdu. Chaque camp avait perdu un nombre presque égal de troupes. Le commandement et les tactiques des Allemands avaient été quelque peu modifiés, mais leur stratégie qui consistait à saigner à blanc l'armée française avait eu plus d'effet qu'ils ne l'avaient réalisé.

Le peuple français est immensément fier du succès de son armée dans la défense de Verdun, et le cri de guerre des soldats « On ne passe pas » devient le slogan de l'estime nationale. Les généraux français deviennent des héros nationaux. Mais, après la bataille de Verdun, de nombreux soldats français ont l'impression qu'ils n’ont plus rien à donner.

Une autre grande offensive française est prévue au début du printemps 1917. Le haut commandement français promet à ses troupes une victoire rapide au Chemin des

Dames sur l’Aisne. On proclame aux soldats français que ce sera la bataille qui leur permettra de gagner la guerre. Le moral est au beau fixe, surtout que les soldats français ont appris que leurs généraux allaient essayer une nouvelle tactique pour épargner leurs vies. Ils marcheraient vers les tranchées allemandes sous la protection du barrage rampant, une grêle d'obus tombant devant eux, avançant comme un mur de feu protecteur.

Des chars seraient également utilisés, un nouveau type d'arme prometteur pour écraser la défense des barbelés et détruire les nids mortels des mitrailleuses, qui sans cela, balayerait des dizaines d'hommes d'une seule rafale.

Un million d'hommes participèrent à l'attaque du 16 avril. Elle échoua. Ce fut un autre massacre insensé. Les chars tombèrent en panne et les bombardements de l'artillerie ne réussirent pas à détruire les points forts de l'ennemi. Le temps n'avait pas aidé non plus. Les soldats français avaient dû avancer sous une pluie battante. Après 10 jours, plus de 30 000 hommes avaient été tués, et plus de 20 000 avaient disparus, presque certainement morts. 90 000 autres survivants avaient été blessés. Mais pourtant, les attaques continuèrent.

Tous les soldats ne croyaient pas aux promesses des généraux français d'une victoire facile lors d'une percée décisive. De nombreuses compagnies de soldats, y compris la mienne, marchaient au front en bêlant comme des moutons, criant à qui voulait l’entendre que nous étions des viandes de boucherie sur pied destinées à l'abattoir. C'était un signal d'alarme qui fut ignoré. Le Chemin des Dames devint le lieu où le moral de l'armée française s’effondra définitivement.

La première mutinerie eu lieu avec le deuxième bataillon du 18ème régiment d'infanterie. Sur 600 hommes, seulement 200 avaient survécu à l’offensive. Après un bref répit derrière les lignes de front françaises, ils reçurent à nouveau l'ordre de retourner dans les tranchées. C'était le 29 avril 1917, en début de soirée. De nombreux hommes étaient ivres du vin rouge bon marché qui était toujours fourni gratuitement aux troupes françaises. Presque tous les hommes refusèrent d’y retourner et se rassemblèrent en groupes protestant contre la guerre, mais tôt le lendemain matin, une fois dessoûlés, les soldats repartirent vers la ligne de front.

Alors que nous marchions, les officiers du bataillon décidèrent que cette insurrection devait être immédiatement punie. Au hasard, une douzaine d'hommes furent extirpés des rangs et accusés de mutinerie. Ils abattirent cinq d'entre eux. Un autre s’échappa miraculeusement. Alors qu'il était conduit au peloton d'exécution par un groupe de gardes, un bombardement d'artillerie allemand se mit à tomber autour d'eux. Il s’élança dans les bois voisins et ne fut jamais retrouvé.

Quelques jours plus tard, une autre mutinerie éclata. Cette fois, beaucoup plus importante car elle concernait l’intégralité de la deuxième division. Des milliers d'hommes, presque tous ivres, refusèrent de porter les armes et de se diriger vers les tranchées. Quand l'effet de la boisson se fut dissipé, la plupart des hommes cédèrent et repartirent au front. Ceux qui refusèrent toujours de partir furent rapidement arrêtés et les punitions n'épargnèrent personne d'autre dans la division.

Ce n'était que le début. Au début du mois de mai, cette rébellion alcoolique s'était répandue dans l'armée, c'était un autre genre de mutinerie. C'était une étrange sorte de mutinerie. Il n’y eu aucun rapport d'attaques ou de meurtres d'officiers ni de revendications politiques. Lorsque les officiers négocièrent avec l'homme qui avait été élu par ses camarades pour les représenter, il leur déclara que les soldats continueraient à défendre leurs tranchées des attaques des Allemands, mais qu’ils refusaient toute avancée vers l’ennemi.

Alors qu'une mutinerie à grande échelle balayait les rangs de l'armée française, des évènements extraordinaires se produisaient en Russie. Une mutinerie de même ampleur avait conduit au renversement du gouvernement tsariste, alarmant profondément les autres alliés. Les autorités françaises avaient de la chance de ne pas avoir d'équivalents de Lénine et de Trotsky parmi leurs troupes. S'il y en avait eu, l'histoire de la France au cours du XXème siècle, aurait pu être très différente. La rébellion française n'avait pas de chefs évidents, elle n'était dirigée par personne. Mais, malgré cela, la situation se dégradait si rapidement qu'en juin, 54 divisions, soit plus de la moitié de l’ensemble de l'armée française sur le front occidental, sont touchées. Plus de 30 000 hommes quittent leurs postes sur la ligne de front et essayent de rentrer chez eux à pied.

Les causes de la mutinerie étaient simples. Le simple soldat français avait perdu la foi en ses généraux. Il n’était plus d’accord pour donner sa vie en suivant des ordres auxquels il ne croyait plus. Il y avait également d'autres causes, et celles-ci étaient suffisamment sérieuses pour que l'on se demande pourquoi la mutinerie n'avait pas pris naissance plus tôt.

Par rapport à leurs homologues britanniques, les soldats français devaient supporter des conditions plus dures en matière de discipline militaire. Leur solde était une misère. La nourriture qui leur était offerte était souvent froide et de mauvaise qualité, ce qui était particulièrement troublant compte tenu de la réputation de gourmets de cette nation. L'armée britannique avait produit un grand effort logistique pour que ses soldats de métier soient approvisionnés en nourriture chaude de qualité raisonnable. Les soldats britanniques traversaient également régulièrement la Manche pour passer du temps avec leurs familles, loin des tranchées.