Книга Pièces choisies - читать онлайн бесплатно, автор Valentin Krasnogorov. Cтраница 2
bannerbanner
Вы не авторизовались
Войти
Зарегистрироваться
Pièces choisies
Pièces choisies
Добавить В библиотекуАвторизуйтесь, чтобы добавить
Оценить:

Рейтинг: 0

Добавить отзывДобавить цитату

Pièces choisies

LUI. Je peux vous expliquer, pourquoi j’ai été brusque avec vous. J’ai senti que l’on me prenait à l’abordage. Cela ne m’a pas plu et j’ai été contraint de me défendre. Si la conversation que nous devons avoir se déroule sans allusions érotiques, je me sentirai libre et c’est avec plaisir que je parlerai avec vous d’Alice au pays des merveilles.

ELLE. Dites-moi sans ambages ce qui vous dérange chez moi. Je suis affreuse? Ennuyeuse? Désagréable?

LUI. Pas du tout.

ELLE. Alors, où est le problème?

LUI. Eh bien, voyez vous-même, pourquoi me lancer dans une aventure avec une inconnue? Vous avez du charme, je ne le nie pas. C’est sans doute agréable de s’endormir avec vous, mais peut-être que demain je me réveillerai sans argent, sans papiers. Et peut-être que votre petit ami fait équipe avec vous et qu’il me fendra le crâne pour avoir mon portefeuille.

ELLE. Quel homme raisonnable et prudent vous faites! Vous prévoyez tout.

LUI. À vos yeux, je sais, c’est un défaut. « Plaignons qui prévoit tout… ».

ELLE. Et pourquoi n’ai-je pas peur de vous? Vous aussi, vous pouvez tout me faucher.

LUI. Moi, à vous?

ELLE. Et pourquoi pas? À ce propos, j’ai pas mal d’argent sur moi. Tenez, regardez. (Elle ouvre son sac à main.)

LUI. (Après avoir jeté un œil dans le sac.). Ho! ho! D’où sortez-vous tant d’argent?

ELLE. Le salaire de ces quatre derniers jours. Votre ami ne me fracassera-t-il pas le crâne pour ça?

LUI. Je vois qu’on vous rétribue avec largesse.

ELLE. Je ne me plains pas. Mais le travail n’est pas des plus faciles. Et il exige une haute qualification.

LUI. Si ce n’est pas un secret, combien prenez-vous?

ELLE. Soyez rassuré, nous trouverons une entente.

LUI. Je ne demande pas pour moi, mais en général.

ELLE. Ça dépend de la durée, de la situation financière du commanditaire, de mon humeur et aussi de beaucoup d’autres choses.

LUI. Et malgré tout? Combien?

ELLE. Et jusqu’à combien pouvez-vous aller?

LUI. Zéro. Je n’en ai pas besoin, même pas gratuitement. Simple curiosité de ma part.

ELLE. Vous savez quoi? Lorsque, par exemple, en Espagne, une dame proposait un rendez-vous à un homme, même en pleine nuit et dans un lieu inconnu, il y allait sans hésiter, sans penser à sa bourse ou aux dangers. C’est comme ça qu’agissaient les vrais cavalleros.

LUI. Mais nous ne sommes pas en Espagne et nous ne jouons pas une comédie de cape et d’épée. Nous sommes dans notre triste réalité de tous les jours, où il y a beaucoup de filouterie, de mensonges, de criminalité et de cruauté. De plus, il ne s’agit pas seulement de prudence de ma part.

ELLE. Et de quoi donc?

LUI. Pour être franc, plonger la cuillère dans la soupe c’est agréable quand elle est dans une assiette propre et non pas dans une auge publique. Excusez-moi, je ne voulais pas vous offenser.

ELLE. Peut-être ne vouliez-vous pas, mais vous l’avez fait. Mais pas avec vos paroles grossières, non, j’en ai plus qu’entendu de votre part, mais tout simplement parce que vous ne voulez pas de moi. Et pour une femme, il n’y a pas plus grande offense que de savoir qu’elle n’est pas désirée.

LUI. S’il vous plaît, laissons ce sujet. Nous en étions convenus.

ELLE. Nous ne sommes convenus de rien.

LUI. Parlons d’autre chose.

ELLE. Abstenons-nous plutôt de parler d’autre chose.

Pause.

LUI. Puisque vous n’aimez pas la vodka, peut-être, commanderons-nous pour de bon du champagne?

ELLE. Pas maintenant.

LUI. Et quand?

ELLE. Demain matin.

LUI. Il n’y aura pas de demain matin.

ELLE. Si.

LUI. Non.

ELLE. Et qu’y aura-t-il? Seulement la nuit?

LUI. Il n’y aura rien, aucune coucherie.

ELLE. Mais je ne vous l’ai même pas promise. En général, un homme marié n’est pas disposé à coucher dans deux cas : ou bien sa femme l’a à ce point ensorcelé, qu’il n’est pas attiré par d’autres femmes, ou bien elle l’a à ce point réfrigéré qu’il en a perdu le goût. Avec laquelle de ces deux variantes avons-nous affaire dans votre cas?

LUI. (Sèchement.). Je vous ai priée, me semble-t-il, de ne pas toucher à ma vie privée. De ne pas prononcer un mot sur ma femme. Et, plus largement, de ne pas parler de moi.

ELLE. Et de quoi alors?

LUI. De ce que vous voulez, mais pas de moi.

ELLE. Et moi, justement, j’ai envie de ne parler que de vous.

LUI. Ça vous sert à quoi?

ELLE. Ça vous sert vous. Vous n’êtes pas heureux. Vous n’avez personne à qui vous confier.

LUI. Tout va bien pour moi.

ELLE. Et puis, vous avez peur de moi.

LUI. Moi, peur de vous?

ELLE. Oui. Vous avez peur de me céder, mais plus encore de me laisser, de retourner dans votre chambre et de rester seul à seul avec vous-même. Voilà pourquoi vous restez avec moi et me proposez du champagne, bien qu’au fond de vous-même vous me méprisiez. Vous me méprisez et vous me voulez. Je me trompe?

LUI. Foutaise!

ELLE. C’est la vérité.

LUI. Non, vous vous trompez.

ELLE. Vous ne me méprisez pas, mais me voulez seulement?

LUI. Non.

ELLE. Vous ne me voulez pas, mais me méprisez seulement?

LUI. Vous avez une habileté consommée à chambrer les gens et à vous cramponner au moindre mot.

ELLE. Je me cramponne, parce que je veux vous accrocher. N’est-ce pas suffisamment clair?

LUI. Et vous l’avouez?

ELLE. Est-ce que je vous l’ai caché? Depuis le tout début, je ne vous parle que de cela. Mais, pour une raison que j’ignore, vous avez peur de moi.

LUI. Je n’ai peur de rien. Simplement, je trouverais désagréable de me réveiller le matin aux côtés d’une inconnue.

ELLE. Et de ne pas savoir comment vous en débarrasser.

LUI. Je n’ai pas dit ça.

ELLE. Mais vous l’avez pensé.

LUI. (Sèchement.). Je ne veux pas vous froisser, mais je suis contraint de répéter pour la dixième fois, je ne suis pas de ceux qui trouvent leur plaisir dans des amours facturées à l’heure. Je suis peut-être vieux jeu, mais on ne se refait pas.

ELLE. Et ce n’est pas la peine. Vous me plaisez précisément tel que vous êtes.

L’homme prend son portefeuille, en sort de l’argent et le pose sur la table.

LUI. Tenez, prenez.

ELLE. Qu’est-ce que c’est?

LUI. Votre rémunération, pour le temps que vous avez perdu. Il vous fallait gagner de l’argent, je suis prêt à payer. À la condition que vous me lâchiez.

ELLE. Nous discuterons de cette transaction plus tard.

LUI. Non, maintenant. Si ce n’est pas assez, je suis prêt à payer plus. (Il rouvre son portefeuille.)

ELLE. J’ai l’habitude de gagner ma vie honnêtement et de ne pas recevoir d’aumône.

LUI. En me divertissant, vous la gagnez plus honnêtement que d’habitude. Je ne cache pas que j’étais d’humeur exécrable et vous m’avez quelque peu aidé à me distraire. Mais maintenant, suffit. Prenez et partez.

ELLE. (Peinée et sincèrement déçue.). Visiblement, ça doit être vrai que je ne vous plais pas beaucoup. (Après un court silence.) Mais, peut-être, au contraire, êtes-vous très attiré par moi? Je crois que pour me rassurer, je vais rester sur la deuxième variante.

LUI. Je ne vous retiens pas.

ELLE. Pourquoi me chassez-vous?

LUI. Parce que j’ai effectivement comme l’impression de commencer à m’intéresser à vous plus qu’il ne convient.

ELLE. Et vous savez toujours ce qu’il convient de se permettre?

LUI. Naturellement. Comme on dit, bois mais sans excès, aime mais sans t’éprendre.

ELLE. Vous méritez vingt sur vingt pour votre conduite.

LUI. Absolument. Prenez l’argent.

ELLE. Si je le prends, ce sera seulement au matin.

LUI. J’admire votre persévérance.

ELLE. Et moi votre caractère inflexible.

LUI. Vous avez tout tenté, mais vous avez perdu.

ELLE. Alors, c’est nous deux qui avons perdu.

LUI. Peut-être. Et maintenant, partez.

ELLE. Je ne veux pas dire mais c’est ma table.

LUI. C’est juste. Pardon.

L’homme se lève sans hésitation, retourne à sa table, fourre son manuscrit dans son porte-documents, prêt à partir. La femme se lève et se dirige vers sa table.

ELLE. Pardon, la place est libre?

LUI. (Irrité.). Oui. Toute la table est libre, parce que j’ai fini de dîner et que je vais partir.

ELLE. Donc, en attendant, je peux m’asseoir?

LUI. Comme il vous plaira.

La femme s’assoit.

LUI. Eh bien, que voulez-vous encore?

ELLE. Dire quelques mots en guise d’adieu. Asseyez-vous. Je ne serai pas longue.

LUI. (Il s’assoit.). Alors?

ELLE. Savez-vous pourquoi, il y a une heure de ça, je me suis approchée de vous?

LUI. Je le devine.

ELLE. Non, vous ne pouvez pas le deviner.

LUI. Eh bien, alors, dites.

ELLE. Ça faisait un moment que j’étais assise à proximité et que je vous observais. Et vous n’avez même pas une fois jeté un regard vers moi. Mais je ne dis pas ça parce que je serais vexée, pour quelle raison auriez-vous dû me regarder? Et donc, je restais là, assise, et soudain j’ai pensé que vous alliez partir et que je ne vous reverrais plus jamais. Et je vous ai imaginé montant seul alors vers votre chambre nue et sans confort et j’ai compris que si vous partiez, alors je ne pourrais plus rien pour vous. Alors, tout à coup, je me suis levée et je vous ai abordé sans rien espérer et sans aucun plan. Je vous ai simplement abordé.

LUI. (Étonné par cet aveu inattendu, il garde longtemps le silence, ne sachant pas comment réagir.). Vos paroles me laissent sans réponse.

ELLE. Mais elles n’exigent aucune réponse. Oubliez-les, voilà tout.

LUI. Avouez que vous venez seulement d’inventer tout cela.

ELLE. Peut-être. Mais je n’avouerai pas.

LUI. Je suis certain que vous l’avez inventé, mais quand même c’est agréable.

ELLE. Eh bien, sur cette note agréable, nous achevons une rencontre qui n’a pas eu lieu. (Elle se lève.)

LUI. Vous êtes une femme étrange.

ELLE. Merci pour le compliment. Je vais tâcher de le mériter.

LUI. Intelligente, instruite, pas désinvolte, bien élevée… Et avec ça… Non, c’est vrai, très étrange.

ELLE. Est-ce mal d’être étrange?

LUI. Eh bien, pas à un tel degré.

ELLE. Il vaut mieux être comme tout le monde?

LUI. Sans doute.

ELLE. Mais être normale, quel ennui! Mais si vous aimez l’ennui, allez vous ennuyer plus loin.

La femme retourne à sa table. L’homme, après une certaine hésitation, se dirige à nouveau vers elle.

LUI. (Manquant de résolution.). Savez-vous ce que j’ai pensé? Peut-être, en effet, pourrions-nous monter dans ma chambre?

ELLE. À quoi bon? N’êtes-vous pas un modèle de moralité?

LUI. Nous y boirons un café.

ELLE. (Montrant sa tasse.). Ici aussi, on sert du café.

LUI. Si ce n’est du café, alors autre chose.

ELLE. (Avec un léger sourire.). Du champagne?

LUI. Et pourquoi pas?

ELLE. Mais c’est vous-même qui m’aviez dit de ne pas y compter.

LUI. Allez-vous cesser? De toute façon, le restaurant ferme. Bon gré mal gré, il faut partir.

ELLE. Allez-y.

LUI. Et vous?

ELLE. Moi, je reste.

LUI. Pourquoi?

ELLE. Vous n’avez pas besoin de moi, même gratuitement. C’est bien ce que vous avez dit?

LUI. Pourquoi gratuitement? Je suis prêt à payer.

ELLE. Et, malgré vos principes, vous feriez l’amour avec une femme vénale?

LUI. En définitive, nous ne sommes pas du tout obligés de faire l’amour.

ELLE. Et pour quoi, alors, me faites-vous monter dans votre chambre?

LUI. Eh bien, simplement pour parler. Vous avez une conversation intéressante… Vous connaissez beaucoup de poésies…

ELLE. Ne me faites pas rire. Soyez honnête avec vous-même.

LUI. Bon, d’accord, nous savons tous les deux de quoi il retourne. Et après?

ELLE. Je n’irai nulle part avec vous.

LUI. Mais vous-même tout à l’heure proposiez…

ELLE. Je ne m’en souviens pas. Mais même si je l’ai proposé, il fallait alors être d’accord. Mais maintenant, j’ai changé d’avis.

LUI. Vous vous jouez de moi, comme le chat de la souris.

ELLE. Peut-être. Je crains seulement que le chat lui-même ne devienne souris.

LUI. Je n’arrive pas à vous comprendre. Il y a à peine quelques instants, vous teniez de tels propos… Comme quoi je vous plaisais…

ELLE. Oui. Et je ne les renie pas. Mais venant de vous je n’ai pas entendu ces propos.

LUI. Vous ne voulez quand même pas que je vous fasse une déclaration d’amour?

ELLE. Et pourquoi pas?

LUI. Mais ce serait simplement comique!

ELLE. Eh bien, riez!

LUI. Mais nous nous connaissons à peine.

ELLE. Nous ne nous connaissons pas du tout.

LUI. Nous pouvons remédier à cet inconvénient.

ELLE. Vous n’êtes pourtant pas adepte des rencontres faciles.

LUI. (Désabusé.). Je vois que je ne vous persuaderai pas.

ELLE. On peut persuader n’importe quelle femme.

LUI. C’est possible, mais moi je ne sais pas comment on fait.

ELLE. Vous voulez un conseil?

LUI. Eh quoi, il y a une voie?

ELLE. Voilà, vous m’invitez à réciter des vers. Je peux ici même vous réciter quelque chose pour commencer. Rachmaninov a une romance sur des paroles de Hugo. Elle s’intitule : « Comment, disaient-ils? » Vous connaissez?

LUI. Non. Mais je préfèrerais avoir une réponse à ma question.

ELLE. (L’interrompant.). Écoutez jusqu’à la fin. Ce poème de Hugo est assez étrange. Dans chaque strophe, des « ils » inconnus posent une longue question pleine d’émotion, et d’autres « ils », ou, plus précisément, « elles », parce que dans le texte original français est utilisé le pronom personnel féminin, donnent une très brève réponse, simple et inattendue.

LUI. Quelque chose m’échappe.

ELLE. Bon, écoute cet exemple :

Comment, disaient-ils,

Oublier querelles

Misère et périls?

(Après une courte pause.)

‒ Dormez, disaient-elles.

LUI. Tout cela est très intéressant, mais quel rapport cela a-t-il avec le conseil que vous vouliez me donner?

ELLE. Le conseil est le suivant :

Comment, disaient-ils,

Enchanter les belles

Sans philtres subtils?

(Elle se tait.)

LUI. Et?…

ELLE. Aimez, disaient-elles.

LUI. J’ai compris l’allusion. Mais il ne peut être question d’amour dans notre cas.

ELLE. Est-ce à dire que vous me proposez de faire l’amour, mais sans amour?

LUI. On peut le dire comme ça aussi. Je préfère que nos rapports se construisent sur une base prosaïque, sans romantisme inutile.

ELLE. (Très sèchement.). Alors, adressez-vous au portier, il vous proposera sûrement une fille pour la nuit pour un prix modique. Au revoir. (Et comme l’homme ne quitte pas sa place, elle répète :) J’ai dit « Au revoir ».

LUI. Demain, je prends l’avion.

ELLE. Alors, adieu.

L’homme retourne lentement à sa table, prend son porte-documents, se dirige vers la sortie mais s’attarde près de la table, où est assise la femme.

LUI. Vous restez?

La femme ne répond pas.

LUI. Vous comptez chasser un autre client?

ELLE. Vous avez quelqu’un à me recommander?

LUI. Il n’y a pas d’amateurs de telles aventures parmi mes connaissances.

ELLE. Il ne fait pas de doute que vous connaissez mal vos amis. Adieu.

LUI. Adieu.

L’homme part. La femme reste seule. Visiblement, elle est contrariée et déçue. Les lumières du restaurant sont baissées, signe qu’il va fermer. La femme regarde l’addition posée devant elle, met l’argent sur la table et s’apprête à partir. C’est à ce moment que réapparaît l’homme.

LUI. Vous êtes encore là? J’avais peur que vous soyez partie.

ELLE. Que voulez-vous?

LUI. Je me suis imaginé seul dans ma chambre, en tête à tête avec moi-même et je ne me suis pas senti bien. Dans ces minutes-là, j’ai parfois de telles bouffées de dépression que je… Bref… Vous m’avez demandé pourquoi je vous proposais de monter dans ma chambre. Eh bien, je vais vous répondre : pour ne pas être seul. Vous me comprenez?

ELLE. (Avec sérieux.). Je vous comprends très bien.

LUI. Vous me provoquez tout le temps, parfois même vous vous moquez, mais je ne sais pas pourquoi je trouve intéressant d’être avec vous. En tout cas, c’est mieux que d’être seul. Aussi, je vous prie de m’accompagner. Je n’exigerai rien de vous et dans tous les cas je vous paierai.

ELLE. Bon, entendu. (Souriant :) Je suis une fille sans expérience, je ne sais pas résister.

LUI. (Doutant de son succès.). C’est vrai, vous êtes d’accord?

ELLE. Je vous ai dit oui, voyons. Mais j’ai l’impression que cela ne vous réjouit pas vraiment. Vous avez l’air quelque peu déconcerté.

LUI. Heureux, plutôt.

ELLE. On dirait que le bonheur vous est tombé dessus si soudainement que vous n’avez pas eu le temps de faire un pas de côté.

LUI. Alors on y va?

ELLE. On y va. (Elle se lève et prend son sac.) Attendez-moi un instant ici, je dois régler l’addition au garçon.

LUI. C’est moi qui règle.

ELLE. Pas besoin de l’appeler, j’y vais. (Elle va vers la sortie.)

LUI. Mais vous allez revenir?

ELLE. Et vous, vous attendrez?

LUI. Vous doutez de moi?

ELLE. Et vous de moi?

LUI. Oui.

ELLE. Et vous faites bien.

La femme sort et son absence semble assez longue à l’homme. Il l’attend avec une certaine inquiétude, ne la quittant pas du regard. La femme revient.

LUI. Pourquoi ces chuchotements avec le garçon?

ELLE. (Avec une pointe de moquerie.). Nous récitions des vers. Vous êtes jaloux?

LUI. Peut-être.

ELLE. Bon, eh bien, je suis prête.

LUI. (Il fait quelques pas, mais soudain s’arrête.). Tout à coup j’ai un peu peur.

ELLE. Moi aussi.

LUI. De qui avez-vous peur? De moi?

ELLE. Non. De moi.

LUI. Et moi, de moi. Mais on y va?

ELLE. On y va.


FIN DE ACTE I


ACTE II


Une chambre d’hôtel. L’Homme et la Femme entrent. Tous les deux se sentent quelque peu gênés.


LUI. Eh bien, la chambre vous plaît?

ELLE. Comment dire… Dans un hôtel, fût-il un bon hôtel, il y a toujours ce côté standard, aseptisé. Une table, un sanitaire, un lit… On ne s’y sent jamais comme chez soi.

LUI. Si je comprends bien, il vous arrive souvent d’aller dans les hôtels. Profession oblige.

ELLE. Ça se peut. Et alors?

LUI. Rien.

ELLE. Alors pourquoi poser des questions oiseuses?

Pause.

L’homme veut enlacer la femme. Elle s’écarte.

LUI. Qu’est-ce que tu as?

ELLE. Rien.

LUI. Je ne comprends pas, ne sommes-nous pas convenus de tout?

ELLE. Nous ne sommes convenus de rien du tout. Vous m’avez priée de venir, je suis là.

LUI. J’espère que tu n’essaieras pas de me faire croire que je suis le deuxième.

ELLE. Sûrement pas.

LUI. Tiens, tiens! Et tu en as eu beaucoup?

ELLE. Suffisamment.

LUI. Donc, tu as de l’expérience?

ELLE. Pas peu.

LUI. Tu m’en feras profiter?

ELLE. Nous nous tutoyons à nouveau?

LUI. Au lit, on ne se vouvoie pas.

ELLE. Nous ne sommes pas encore au lit.

LUI. Mais nous allons y être. (Il veut l’enlacer.)

ELLE. (S’écartant très sèchement.). Vous avez décidé que puisque j’ai été d’accord pour venir ici, on pouvait ne pas se gêner avec moi?

LUI. Inutile de faire croire que vous êtes montée, à la nuit tombée, dans la chambre d’un homme pour boire le thé avec lui.

ELLE. Certes, pas pour boire le thé. Nous boirons le champagne.

LUI. Cessez de plaisanter. Où le trouverai-je à présent? (Il essaie à nouveau d’enlacer la femme.)

ELLE. (Ne réagissant pas du tout à ses étreintes. Le ton froid :). Ne jouez pas la passion.

LUI. Mais je ne la joue pas. Ce n’est pas la passion mais la curiosité qui pousse un homme vers une nouvelle femme.

ELLE. (Sèchement.). Contentez-vous de satisfaire votre curiosité sans l’aide de vos mains. Posez-moi, par exemple, des questions et je répondrai.

LUI. Alors, vous êtes venue seulement pour parler? Ici, dans cette chambre?

ELLE. Naturellement. Selon vous, il vaut mieux discuter dehors dans le froid, le vent et la pluie? (Et comme il la tient toujours enlacée, elle continue.) Si vous ne me relâchez pas immédiatement, je m’en vais tout de suite.

L’homme relâche la femme. Pause.

LUI. Si ces caprices doivent se poursuivre, pourquoi donc êtes-vous venue?

ELLE. Peut-être, parce que je me sentais seule. Comme vous.

LUI. Qu’est-ce qu’une belle-de-nuit comme toi peut connaître de la solitude? De la vraie solitude, quand tu n’as personne à qui adresser la parole, à qui te confier, personne pour te comprendre et te répondre? Quand tu te sens seul même entouré de gens, même si à tes côtés dort un être supposé proche mais en vérité étranger.

La femme ne répond pas. Pause.

LUI. Alors quoi, nous allons longtemps nous regarder comme ça?

ELLE. Calmez-vous et asseyez-vous.

LUI. Je ne te comprends pas.

ELLE. En revanche, moi je vous comprends très bien. Vous n’êtes tout simplement pas sûr de vous et vous ne savez pas comment vous y prendre. Vous êtes tout le temps balloté entre votre timidité et un sans-gêne que vous prenez pour de l’audace.

LUI. C’est juste, pardon.

ELLE. Et si vous ne vous conduisez pas comme il faut, je partirai tout de suite.

LUI. Qu’est-ce que c’est que ce nouveau jeu?

ELLE. La continuation de l’ancien. Seulement, comme au football, après la pause, nous changeons de camp. Au restaurant, c’est moi qui vous sollicitais et maintenant c’est votre tour. Montrez-moi comment vous vous y prenez.

LUI. Pour dire vrai, je ne sais pas du tout m’y prendre.

ELLE. Je l’avais déjà remarqué.

Pause.

LUI. Avec vous, j’ai un peu de difficulté à relancer la conversation. Vous ne m’avez même pas dit comment vous vous appelez.

ELLE. Si vous voulez, appelez-moi Constance. Ou Nadine. Ou Aimée.

LUI. Et en réalité?

ELLE. (Sans répondre à la question, elle s’approche de la fenêtre.). Quel sale temps dehors…

LUI. (Il s’approche d’elle et regarde aussi par la fenêtre.). Oui, il fait froid et c’est inconfortable… Il y a quelque chose qui coince dans notre rencontre.

ELLE. Ne vous désolez pas, nous avons toute une nuit devant nous. Tout peut changer.

LUI. Vous le promettez?

ELLE. Je l’espère. Tout dépend de vous.

LUI. Et pourquoi ne me demandez-vous pas mon nom?

ELLE. Parce que je le connais.

LUI. (Stupéfait.). Comment ça?

ELLE. Comme ça. Je ne sais pas, cependant, comment je dois vous appeler. Il est un peu tôt pour vous appeler Serge, et « Monsieur Odintsov » me paraît trop formel.

LUI. Prenons un juste milieu. Vous pouvez m’appeler Serguéï.

ELLE. J’espère mériter le droit de vous appeler de façon plus intime.

LUI. Mais, tout de même, comment connaissez-vous mon nom? (Après un temps de réflexion :) Peut-être, en bas, à l’accueil?

ELLE. Peu importe. Je le connais, voilà tout.

Quelqu’un frappe légèrement à la porte.

LUI. (Étonné.). On frappe, ou je rêve?

ELLE. Non, vous ne rêvez pas.

LUI. (Troublé.). Qui cela peut-il être?

ELLE. Ouvrez, vous saurez bien.

LUI. Non.

ELLE. Vous craignez que l’on me voie dans votre chambre? N’ayez crainte, maintenant il n’y a pas de police des mœurs.

Après quelque hésitation, l’homme part. On entend un bruit sourd, des voix puis le bruit de la porte qui se ferme. L’homme réapparaît, poussant devant lui un chariot sur lequel il n’est pas difficile d’apercevoir une bouteille de champagne dans un seau à glace, des flûtes et quelques hors-d’œuvre. L’homme a l’air très perplexe.

LUI. Voici… Le champagne… Il nous vient du restaurant. Le garçon a même refusé l’argent. Il dit que c’est réglé. Bizarre. Je n’ai rien commandé.

ELLE. Il n’y a rien de bizarre. C’est un don du ciel.

LUI. (Comprenant.). Voilà pourquoi vous cherchiez le garçon, lorsque nous sortions!… Vous m’obligez à rougir. C’était à moi de le faire, mais ça ne m’est pas venu à l’esprit. Je suis un âne.

ELLE. Essayez de rectifier ça à l’avenir. (Elle prend son sac à main et se dirige vers la sortie.)