Книга Опасные связи / Les liaisons dangereuses. Книга для чтения на французском языке - читать онлайн бесплатно, автор Пьер Шодерло де Лакло. Cтраница 4
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Опасные связи / Les liaisons dangereuses. Книга для чтения на французском языке
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Опасные связи / Les liaisons dangereuses. Книга для чтения на французском языке

J’ai l’honneur d’être,

Cécile Volanges

De…, 20 août 17**.

Lettre XX. La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont

Ah ! fripon, vous me cajolez, de peur que je ne me moque de vous ! Allons, je vous fais grâce : vous m’écrivez tant de folies, qu’il faut bien que je vous pardonne la sagesse où vous tient votre Présidente. Je ne crois pas que mon Chevalier eût autant d’indulgence que moi ; il serait homme à ne pas approuver notre renouvellement de bail, et à ne rien trouver de plaisant dans votre folle idée. J’en ai pourtant bien ri, et j’étais vraiment fâchée d’être obligée d’en rire toute seule. Si vous eussiez été là, je ne sais où m’aurait menée cette gaieté : mais j’ai eu le temps de la réflexion, et je me suis armée de sévérité. Ce n’est pas que je refuse pour toujours ; mais, je diffère, et j’ai raison. J’y mettrais peut-être de la vanité, et, une fois piquée au jeu, on ne sait plus où l’on s’arrête. Je serais femme à vous enchaîner de nouveau, à vous faire oublier votre Présidente ; et si j’allais, moi indigne, vous dégoûter de la vertu, voyez quel scandale ! Pour éviter ce danger, voici mes conditions.

Aussitôt que vous aurez eu votre belle dévote, que vous pourrez m’en fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous n’ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit. Par cet arrangement, d’une part, je deviendrai une récompense au lieu d’être une consolation ; et cette idée me plaît davantage ; et de l’autre, votre succès en sera plus piquant, en devenant lui-même un moyen d’infidélité. Venez donc, venez au plus tôt m’apporter le gage de votre triomphe : semblable à nos preux Chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leur dame les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de voir ce que peut écrire une prude après un tel moment, et quel voile elle met sur ses actions, après n’en avoir plus laissé sur sa personne. C’est à vous de voir si je me mets à un prix trop haut ; mais je vous préviens qu’il n’y a rien à rabattre. Jusques-là, mon cher Vicomte, vous trouverez bon que je reste fidèle à mon Chevalier, et que je m’amuse à le rendre heureux, malgré le petit chagrin que cela vous cause.

Cependant si j’avais moins de mœurs, je crois qu’il aurait, dans ce moment, un rival dangereux ; c’est la petite Volanges. Je raffole de cet enfant : c’est une vraie passion. Ou je me trompe, ou elle deviendra une de nos femmes les plus à la mode. Je vois son petit cœur se développer, et c’est un spectacle ravissant. Elle aime déjà son Danceny avec fureur ; mais elle n’en sait encore rien. Lui-même, quoique très amoureux, a encore la timidité de son âge, et n’ose pas trop le lui apprendre. Tous deux sont en adoration vis-à-vis de moi. La petite surtout a grande envie de me dire son secret ; particulièrement depuis quelques jours je l’en vois vraiment oppressée, et je lui aurais rendu un grand service de l’aider un peu : mais je n’oublie pas que c’est un enfant, et je ne veux pas me compromettre. Danceny m’a parlé un peu plus clairement ; mais, pour lui, mon parti est pris, je ne veux pas l’entendre. Quant à la petite, je suis souvent tentée d’en faire mon élève ; c’est un service que j’ai envie de rendre à Gercourt. Il me laisse du temps, puisque le voilà en Corse jusqu’au mois d’octobre. J’ai dans l’idée que j’emploierai ce temps-là, et que nous lui donnerons une femme toute formée, au lieu de son innocente pensionnaire. Quelle est donc en effet l’insolente sécurité de cet homme, qui ose dormir tranquille, tandis qu’une femme, qui a à se plaindre de lui, ne s’est pas encore vengée ? Tenez, si la petite était ici dans ce moment, je ne sais ce que je ne lui dirais pas.

Adieu, Vicomte ; bonsoir et bon succès : mais, pour Dieu, avancez donc. Songez que si vous n’avez pas cette femme, les autres rougiront de vous avoir eu.

De…, ce 20 août 17**.

Lettre XXI. Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil

Enfin, ma belle amie, j’ai fait un pas en avant, mais un grand pas, et qui, s’il ne m’a pas conduit jusqu’au but, m’a fait connaître au moins que je suis dans la route, et a dissipé la crainte où j’étais de m’être égaré. J’ai enfin déclaré mon amour ; et quoiqu’on ait gardé le silence le plus obstiné, j’ai obtenu la réponse peut-être la moins équivoque et la plus flatteuse : mais n’anticipons pas sur les événements, et reprenons de plus haut.

Vous vous souvenez qu’on faisait épier mes démarches. En bien ! j’ai voulu que ce moyen scandaleux tournât à l’édification publique, et voici ce que j’ai fait. J’ai chargé mon confident de me trouver, dans les environs, quelque malheureux qui eût besoin de secours. Cette commission n’était pas difficile à remplir. Hier après-midi, il me rendit compte qu’on devait saisir aujourd’hui, dans la matinée, les meubles d’une famille entière qui ne pouvait payer la taille. Je m’assurai qu’il n’y eût dans cette maison aucune femme ou fille dont l’âge et la figure pussent rendre mon action suspecte ; et, quand je fus bien informé, je déclarai à souper mon projet d’aller à la chasse le lendemain. Ici je dois rendre justice à ma Présidente : sans doute elle eut quelques remords des ordres qu’elle avait donnés ; et, n’ayant pas la force de vaincre sa curiosité, elle eut au moins celle de contrarier mon désir. Il devait faire une chaleur excessive ; je risquais de me rendre malade ; je ne tuerais rien, et me fatiguerais en vain ; et pendant ce dialogue, ses yeux, qui parlaient peut-être plus qu’elle ne voulait, me faisaient assez connaître qu’elle désirait que je prisse pour bonnes ces mauvaises raisons. Je n’avais garde de m’y rendre, comme vous pouvez croire, et je résistai de même à une petite diatribe contre la chasse et les chasseurs, et à un petit nuage d’humeur qui obscurcit, toute la soirée, cette figure céleste. Je craignis un moment que ses ordres ne fussent révoqués, et que sa délicatesse ne me nuisît. Je ne calculais pas la curiosité d’une femme ; aussi me trompais-je. Mon chasseur me rassura dès le soir même, et je me couchai satisfait.

Au point du jour je me lève et je pars. A peine à cinquante pas du château, j’aperçois mon espion qui me suit. J’entre en chasse, et marche à travers champs vers le village où je voulais me rendre, sans autre plaisir, dans ma route, que de faire courir le drôle qui me suivait, et qui, n’osant pas quitter les chemins, parcourait souvent, à toute course, un espace triple du mien. A force de l’exercer, j’ai eu moi-même une extrême chaleur, et je me suis assis au pied d’un arbre. N’a-t-il pas eu l’insolence de se couler jusque derrière un buisson qui n’était pas à vingt pas de moi, et de s’y asseoir aussi ? J’ai été tenté un moment de lui envoyer mon coup de fusil, qui, quoique de petit plomb seulement, lui aurait donné une leçon suffisante sur les dangers de la curiosité : heureusement pour lui, je me suis ressouvenu qu’il était utile et même nécessaire à mes projets ; cette réflexion l’a sauvé.

Cependant j’arrive au village ; je vois de la rumeur ; je m’avance ; j’interroge ; on me raconte le fait. Je fais venir le collecteur ; et, cédant à ma généreuse compassion, je paie noblement cinquante-six livres, pour lesquelles on réduisait cinq personnes à la paille et au désespoir. Après cette action si simple, vous n’imaginez pas quel chœur de bénédictions retentit autour de moi de la part des assistants ! Quelles larmes de reconnaissance coulaient des yeux du vieux chef de cette famille, et embellissaient cette figure de patriarche, qu’un moment auparavant l’empreinte farouche du désespoir rendait vraiment hideuse ! J’examinais ce spectacle, lorsqu’un autre paysan, plus jeune, conduisant par la main une femme et deux enfants, et s’avançant vers moi à pas précipités, leur dit : « Tombons tous aux pieds de cette image de Dieu » ; et dans le même instant, j’ai été entouré de cette famille, prosternée à mes genoux. J’avouerai ma faiblesse ; mes yeux se sont mouillés de larmes, et j’ai senti en moi un mouvement involontaire, mais délicieux. Je serais tenté de croire qu’il y a vraiment du plaisir à faire du bien et qu’après tout ce que nous appellons les gens vertueux, n’ont pas tant de mérite qu’on se plaît à nous le dire. Quoi qu’il en soit, j’ai trouvé juste de leur payer pour mon compte le plaisir qu’ils venaient de me faire. J’avais pris dix louis sur moi ; je les leur ai donnés. Ici ont recommencé les remerciements, mais ils n’avaient plus ce même degré de pathétique : le nécessaire avait produit le grand, le véritable effet ; le reste n’était qu’une simple expression de reconnaissance et d’étonnement pour des dons superflus.

Cependant, au milieu des bénédictions bavardes de cette famille, je ne ressemblais pas mal au héros d’un drame, dans la scène du dénouement. Vous remarquerez que, dans cette foule, était surtout le fidèle espion. Mon but était rempli : je me dégageai d’eux tous, et regagnai le château. Tout calculé, je me félicite de mon invention. Cette femme vaut bien dix louis et l’ayant payée d’avance, j’aurai le droit d’en disposer à ma fantaisie, sans avoir de reproches à me faire.

J’oubliais de vous dire que pour mettre tout à profit, j’ai demandé à ces bonnes gens de prier Dieu pour le succès de mes projets. Vous allez voir si déjà leurs prières n’ont pas été en partie exaucées. Mais on m’avertit que le souper est servi, et il serait trop tard pour que cette lettre partît, si je ne la fermais qu’en me retirant. Ainsi, le reste à l’ordinaire prochain. J’en suis fâché ; car le reste est le meilleur. Adieu, ma belle amie. Vous me volez un moment du plaisir de la voir.

De…, 20 août 17**.

Lettre XXII. La Présidente de Tourvel à Madame de Volanges

Vous serez sans doute bien aise, Madame, de connaître un trait de M. de Valmont, qui contraste beaucoup, ce me semble, avec tous ceux sous lesquels on vous l’a représenté. Il est si pénible de penser désavantageusement de qui que se soit, si fâcheux de ne trouver que des vices chez ceux qui auraient toutes les qualités nécessaires pour faire aimer la vertu ! Enfin vous aimez tant à user d’indulgence, que c’est vous obliger que de vous donner des motifs de revenir sur un jugement rigoureux. M. de Valmont me paraît fondé à espérer cette faveur, je dirais presque cette justice de votre part ; et voici sur quoi je le pense.

Il a fait ce matin une de ces courses qui pouvaient faire supposer quelque projet de sa part dans les environs, comme l’idée vous en était venue ; idée que je m’accuse d’avoir saisie peut-être avec trop de vivacité. Heureusement pour lui, et surtout heureusement pour nous, puisque cela nous sauve d’être injustes, un de mes gens devait aller du même côté que lui[12] ; et c’est par là que ma curiosité répréhensible, mais heureuse, a été satisfaite. Il nous a rapporté que M. de Valmont, ayant trouvé au village de… une malheureuse famille dont on vendait les meubles, faute d’avoir pu payer les impositions, s’était empressé non seulement d’acquitter sur-le-champ la dette de ces pauvres gens, mais même leur avait donné une somme d’argent assez considérable. Mon domestique a été témoin de cette vertueuse action ; et il m’a rapporté de plus que les paysans, causant entre eux et avec lui, avaient dit qu’un domestique, qu’ils ont désigné, et que le mien croit être celui de M. de Valmont, avait pris hier des informations sur ceux des habitants du village qui pouvaient avoir besoin de secours. Si cela est ainsi, ce n’est même plus seulement une compassion passagère, et que l’occasion détermine : c’est le projet formé de faire du bien ; c’est la sollicitude de la bienfaisance ; c’est la plus belle vertu des plus belles âmes ; mais, soit hasard ou projet, c’est toujours une action honnête et louable, et dont le seul récit m’a attendrie jusqu’aux larmes. J’ajouterai de plus, et toujours par justice, que lorsque je lui ai parlé de cette action, de laquelle il ne disait mot, il a commencé par s’en défendre, et a eu l’air d’y mettre si peu de valeur, lorsqu’il en est convenu, que sa modestie en doublait le mérite.

A présent, dites-moi, ma respectable amie, si M. de Valmont est en effet un libertin sans retour, s’il n’est que cela et se conduit ainsi, que restera-t-il aux gens honnêtes ? Quoi ! les méchants partageraient-ils avec les bons le plaisir sacré de la bienfaisance ? Dieu permettrait-il qu’une famille vertueuse reçut, de la main d’un scélérat, des secours dont elle rendrait grâce à sa divine Providence ? et pourrait-il se plaire à entendre des bouches pures répandre leurs bénédictions sur un réprouvé ? Non. J’aime mieux croire que des erreurs, pour être longues, ne sont pas éternelles ; et je ne puis penser que celui qui fait du bien soit l’ennemi de la vertu. M. de Valmont n’est peut-être qu’un exemple de plus du danger des liaisons. Je m’arrête à cette idée qui me plaît. Si, d’une part, elle peut servir à le justifier dans votre esprit, de l’autre, elle me rend de plus en plus précieuse l’amitié tendre qui m’unit à vous pour la vie.

J’ai l’honneur d’être, Madame, etc.

P. S. Mme de Rosemonde et moi nous allons, dans l’instant, voir aussi l’honnête et malheureuse famille, et joindre nos secours tardifs à ceux de M. de Valmont. Nous le mènerons avec nous. Nous donnerons au moins à ces bonnes gens le plaisir de revoir leur bienfaiteur ; c’est, je crois, tout ce qu’il nous a laissé à faire.

De…, ce 20 août 17**.

Lettre XXIII. Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil

Nous en sommes restés à mon retour au château : je reprends mon récit.

Je n’eus que le temps de faire une courte toilette, et je me rendis au salon, où ma belle faisait de la tapisserie, tandis que le curé du lieu lisait la gazette à ma vieille tante. J’allai m’asseoir auprès du métier. Des regards, plus doux encore que de coutume, et presque caressants, me firent bientôt deviner que le domestique avait déjà rendu compte de sa mission. En effet, mon aimable curieuse ne put garder plus longtemps le secret qu’elle m’avait dérobé ; et, sans crainte d’interrompre un vénérable pasteur dont le débit ressemblait pourtant à celui d’un prône : « J’ai bien aussi ma nouvelle à débiter, » dit-elle ; et tout de suite elle raconta mon aventure avec une exactitude qui faisait honneur à l’intelligence de son historien. Vous jugez comme je déployai toute ma modestie : mais qui pourrait arrêter une femme qui fait, sans s’en douter, l’éloge de ce qu’elle aime ? Je pris donc le parti de la laisser aller. On eût dit qu’elle prêchait le panégyrique d’un saint. Pendant ce temps, j’observais, non sans espoir, tout ce que promettaient à l’amour son regard animé, son geste devenu plus libre, et surtout ce son de voix qui, par son altération déjà sensible, trahissait l’émotion de son cœur. A peine elle finissait de parler : « Venez, mon neveu, me dit Mme de Rosemonde ; venez que je vous embrasse. » Je sentis aussitôt que la jolie rêcheuse ne pourrait se défendre d’être embrassée à son tour. Cependant elle voulut fuir ; mais elle fut bientôt dans mes bras ; et, loin d’avoir la force de résister, à peine lui restait-il celle de se soutenir. Plus j’observe cette femme, et plus elle me paraît désirable. Elle s’empressa de retourner à son métier, et eut l’air, pour tout le monde, de recommencer sa tapisserie ; mais moi, je m’aperçus bien que sa main tremblante ne lui permettait pas de continuer son ouvrage.

Après le dîner, les dames voulurent aller voir les infortunés que j’avais si pieusement secourus et je les accompagnai. Je vous sauve l’ennui de cette seconde scène de reconnaissance et d’éloges. Mon cœur, pressé d’un souvenir délicieux, hâte le moment du retour au château. Pendant la route, ma belle Présidente, plus rêveuse qu’à l’ordinaire, ne disait pas un mot. Tout occupé de trouver les moyens de profiter de l’effet qu’avait produit l’événement du jour, je gardais le même silence. Mme de Rosemonde parlait seule, et n’obtenait de nous que des réponses courtes et rares. Nous dûmes l’ennuyer : j’en avais le projet et il réussit. Aussi, en descendant de voiture, elle passa dans son appartement, et nous laissa tête à tête, ma belle et moi, dans un salon mal éclairé ; obscurité douce, qui enhardit l’amour timide.

Je n’eus pas la peine de diriger la conversation où je voulais la conduire. La ferveur de l’aimable prêcheuse me servit mieux que n’aurait pu faire mon adresse. « Quand on est si digne de faire le bien, me dit-elle, en arrêtant sur moi son doux regard, comment passe-t-on sa vie à mal faire ? – Je ne mérite, lui répondis-je, ni cet éloge, ni cette censure et je ne conçois pas qu’avec autant d’esprit que vous en avez, vous ne m’ayez pas encore deviné. Dût ma confiance me nuire auprès de vous, vous en êtes trop digne, pour qu’il me soit possible de vous la refuser. Vous trouverez la clef de ma conduite dans un caractère malheureusement trop facile. Entouré de gens sans mœurs, j’ai imité leurs vices ; j’ai peut-être mis de l’amour-propre à les surpasser. Séduit de même ici par l’exemple des vertus, sans espérer de vous atteindre, j’ai au moins essayé de vous suivre. Eh ! peut-être l’action dont vous me louez aujourd’hui perdrait-elle tout son prix à vos yeux, si vous en connaissiez le véritable motif (Vous voyez, ma belle amie, combien j’étais près de la vérité ! ). Ce n’est pas à moi, continuai-je, c’est à vous que ces malheureux ont dû mes secours. Où vous croyez voir une action louable, je ne cherchais qu’un moyen de plaire. Je n’étais, puisqu’il faut le dire, que le faible agent de la divinité que j’adore (Ici elle voulut m’interrompre ; mais je ne lui en donnai pas le temps). Dans ce moment même, ajoutai-je, mon secret ne m’échappe que par faiblesse ; que parce qu’il est plus fort que moi. Je m’étais promis de vous le taire ; je me faisais un bonheur de rendre à vos vertus comme à vos appas un hommage pur que vous ignoreriez toujours : mais, incapable de tromper, quand j’ai sous les yeux l’exemple de la candeur, je n’aurai point à me reprocher vis-à-vis de vous une dissimulation coupable. Ne croyez pas que je vous outrage par une criminelle espérance. Je serai malheureux, je le sais ; mais mes souffrances me seront chères : elle me prouveront l’excès de mon amour ; c’est à vos pieds, c’est dans votre sein que je déposerai mes peines éternelles. J’y puiserai des forces pour souffrir de nouveau ; j’y trouverai la bonté compatissante, et je me croirai consolé, parce que vous m’aurez plaint. Ô vous que j’adore ! écoutez-moi, plaignez-moi, secourez-moi. » Cependant j’étais à ses genoux, et je serrais ses mains dans les miennes : mais elle, les dégageant tout à coup, et les croisant sur ses yeux avec l’expression du désespoir : « Ah ! malheureuse ! » s’écria-t-elle ; puis elle fondit en larmes. Par bonheur, je m’étais livré à tel point, que je pleurais aussi ; et, reprenant ses mains, je les baignai de pleurs. Cette précaution était bien nécessaire ; car elle était si occupée de sa douleur, qu’elle ne se serait pas aperçue de la mienne, si je n’avais trouvé ce moyen de l’en avertir. J’y gagnai, de plus de considérer à loisir cette charmante figure, embellie encore par l’attrait puissant des larmes. Ma tête s’échauffait, et j’étais si peu maître de moi, que je fus tenté de profiter de ce moment.

Quelle est donc notre faiblesse ! quel est l’empire des circonstances ! si moi-même, oubliant mes projets, j’ai risqué de perdre, par un triomphe prématuré, le charme des longs combats et les détails d’une pénible défaite ; si, séduit par un désir de jeune homme, j’ai pensé exposer le vainqueur de Mme de Tourvel à ne recueillir, pour fruit de ses travaux, que l’insipide avantage d’avoir eu une femme de plus ! Ah ! qu’elle se rende, mais qu’elle combatte ; que, sans avoir la force de vaincre, elle ait celle de résister ; qu’elle savoure à loisir le sentiment de sa faiblesse, et soit contrainte d’avouer sa défaite. Laissons le braconnier obscur tuer à l’affût le cerf qu’il a surpris ; le vrai chasseur doit le forcer. Ce projet est sublime, n’est-ce pas ? mais peut-être serais-je à présent au regret de ne l’avoir pas suivi, si le hasard ne fût venu au secours de ma prudence.

Nous entendîmes du bruit. On venait au salon. Mme de Tourvel, effrayée, se leva précipitamment, se saisit d’un des flambeaux, et sortit. Il fallut bien la laisser faire. Ce n’était qu’un domestique. Aussitôt que j’en fus assuré, je la suivis. A peine eus-je fait quelques pas, que, soit qu’elle me reconnût, soit un sentiment vague d’effroi, je l’entendis précipiter sa marche, et se jeter plutôt qu’entrer dans son appartement dont elle ferma la porte sur elle. J’y allai ; mais la clef était en dedans. Je me gardai bien de frapper ; c’eût été lui fournir l’occasion d’une résistance trop facile. J’eus l’heureuse et simple idée de tenter de voir à travers la serrure, et je vis en effet cette femme adorable à genoux, baignée de larmes, et priant avec ferveur. Quel Dieu osait-elle invoquer ? en est-il d’assez puissant contre l’amour ? En vain cherche-t-elle à présent des secours étrangers : c’est moi qui réglerai son sort.

Croyant en avoir assez fait pour un jour, je me retirai aussi dans mon appartement et me mis à vous écrire. J’espérais la revoir au souper ; mais elle fit dire qu’elle s’était trouvée indisposée et s’était mise au lit. Mme de Rosemonde voulut monter chez elle ; mais la malicieuse malade prétexta un mal de tête qui ne lui permettait de voir personne. Vous jugez qu’après le souper la veillée fut courte, et que j’eus aussi mon mal de tête. Retiré chez moi, j’écrivis une longue lettre pour me plaindre de cette rigueur, et je me couchai, avec le projet de la remettre ce matin. J’ai mal dormi, comme vous pouvez voir par la date de cette lettre. Je me suis levé, et j’ai relu mon épître. Je me suis aperçu que je ne m’y étais pas assez observé ; que j’y montrais plus d’ardeur que d’amour, et plus d’humeur que de tristesse. Il faudra la refaire ; mais il faudrait être plus calme.

J’aperçois le point du jour, et j’espère que la fraîcheur qui l’accompagne m’amènera le sommeil. Je vais me remettre au lit ; et, quel que soit l’empire de cette femme, je vous promets de ne pas m’occuper tellement d’elle, qu’il ne me reste le temps de songer beaucoup à vous. Adieu, ma belle amie.

De …, ce 21 août 17**, à 4 heures du matin.

Lettre XXIV. Le Vicomte de Valmont à la Présidente de Tourvel

Ah ! par pitié, Madame, daignez calmer le trouble de mon âme ; daignez m’apprendre ce que je dois espérer ou craindre. Placé entre l’excès du bonheur et celui de l’infortune, l’incertitude est un tourment cruel. Pourquoi vous ai-je parlé ? que n’ai-je su résister au charme impérieux qui vous livrait mes pensées ! Content de vous adorer en silence, je jouissais au moins de mon amour ; et ce sentiment pur, que ne troublait point alors l’image de votre douleur, suffisait à ma félicité : mais cette source de bonheur en est devenue une de désespoir, depuis que j’ai vu couler vos larmes ; depuis que j’ai entendu ce cruel Ah ! malheureuse ! Madame, ces deux mots retentiront longtemps dans mon cœur. Par quelle fatalité, le plus doux des sentiments ne peut-il vous inspirer que l’effroi ? quelle est donc cette crainte ? Ah ! ce n’est pas celle de le partager : votre cœur, que j’ai mal connu, n’est pas fait pour l’amour ; le mien, que vous calomniez sans cesse, est le seul qui soit sensible ; le vôtre est même sans pitié. S’il n’était pas ainsi, vous n’auriez pas refusé un mot de consolation au malheureux qui vous racontait ses souffrances ; vous ne vous seriez pas soustraite à ses regards, quand il n’a d’autre plaisir que celui de vous voir ; vous ne vous seriez pas fait un jeu cruel de son inquiétude, en lui faisant annoncer que vous étiez malade, sans lui permettre d’aller s’informer de votre état ; vous auriez senti que cette même nuit, qui n’était pour vous que douze heures de repos, allait être pour lui un siècle de douleurs.

Par où, dites-moi, ai-je mérité cette rigueur désolante ? Je ne crains pas de vous prendre pour juge : qu’ai-je donc fait que céder à un sentiment involontaire, inspiré par la beauté et justifié par la vertu ; toujours contenu par le respect, et dont l’innocent aveu fut l’effet de la confiance et non de l’espoir : la trahirez-vous, cette confiance que vous-même avez semblé me permettre, et à laquelle je me suis livré sans réserve ? Non, je ne puis le croire ; ce serait vous supposer un tort, et mon cœur se révolte à la seule idée de vous en trouver un : je désavoue mes reproches ; j’ai pu les écrire, mais non pas les penser. Ah ! laissez-moi vous croire parfaite ; c’est le seul plaisir qui me reste. Prouvez-moi que vous l’êtes en m’accordant vos soins généreux. Quel malheureux avez-vous secouru, qui en eût autant de besoin que moi ? ne m’abandonnez pas dans le délire où vous m’avez plongé : prêtez-moi votre raison, puisque vous avez ravi la mienne ; après m’avoir corrigé, éclairez-moi pour finir votre ouvrage.